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pas à s’élever entre Morago et F. Mora ; ce fut inutilement que Lorenzo chercha à apaiser le conflit ; la querelle s’envenima de plus en plus, et la brouille finit par devenir une rupture irrémédiable. J’ai cherché à savoir quels reproches étaient adressés à F. Mora par ceux qui prirent le parti de Morago : Mora était, disent-ils, un vaniteux, rempli de sottes prétentions ; il croyait avoir fait de grandes découvertes en philosophie, et avait voulu « fonder une école philosophique », unique moyen, selon lui, de faire triompher l’Internationale (lettre de Viñas du 3 août 1872) ; c’était en outre, au témoignage d’un de ses propres amis, Victor Pages, « un fainéant de grande marque, qui s’était proposé de vivre aux dépens du pays (un holgazán de marca mayor, que se ha propuesto vivir á costa del pais)». Quoi qu’il en soit, lorsque se réunit, en septembre 1871, la Conférence de Valencia, Morago n’y assista pas ; il avait donné sa démission de membre du Conseil fédéral pour ne pas rester le collègue de Mora, et ne fit pas partie du nouveau Conseil, dans lequel fut placé, à côté de F. Mora et d’Anselmo Lorenzo, un homme louche, J. Mesa, journaliste ambitieux et vénal (c’était le jugement que portaient sur lui Morago et ses amis), qui faisait montre des sentiments les plus révolutionnaires, et qui venait de fonder le journal la Emancipación. Les six autres membres qui formèrent, avec F. Mora, Lorenzo et Mesa, le nouveau Conseil fédéral, étaient « des hommes dont on ne peut rien dire de particulier, étant de ceux qui, s’ils sont avec des bons, sont bons, et s’ils sont avec des canailles, sont canailles ». À peine ce nouveau Conseil fut-il constitué, que F. Mora, qui subissait l’influence de Mesa, décida, de concert avec celui-ci, que tous les membres du Conseil fédéral devaient faire partie de la Alianza ; et en conséquence ils furent tous initiés. En apprenant cette nouvelle, Morago accourut de Lisbonne ; et, après avoir protesté contre ce qui venait de se passer, il déclara qu’il se retirait de la Alianza. Morago exerçait une grande influence sur les ouvriers de Madrid membres de l’Internationale (on en comptait environ deux mille), influence due tant à son dévouement reconnu par tous qu’à ses talents et à son activité. La mésintelligence existant entre Morago et les meneurs du Comité fédéral, qui formaient en même temps le Conseil de rédaction de la Emancipación, ne fut pas, durant les premiers temps, rendue publique ; mais il n’était pas douteux que si un jour un conflit éclatait, la Fédération locale madrilène suivrait Morago, qui avait fait ses preuves, et non pas le journaliste Mesa, dont on se méfiait instinctivement.

En octobre 1871, il y eut aux Cortès un grand débat sur l’Internationale, provoqué par des déclarations du ministre Sagasta et par une motion qu’avait déposée un groupe de députés réactionnaires ; deux républicains, Salmerón et Pi y Margall, prononcèrent à cette occasion des discours où ils prirent éloquemment la défense du droit d’association menacé. Les menaces du gouvernement devaient se réaliser trois mois plus tard.

Le 7 janvier 1872 eut lieu une assemblée générale de la Fédération locale de Madrid, à laquelle assista Paul Lafargue, arrivé depuis deux semaines dans cette ville. Déjà Lafargue s’était mis en relations avec les membres du Conseil fédéral, et avait trouvé en Mesa l’homme qu’il lui fallait pour servir d’instrument à son intrigue. L’assemblée s’occupa « de la question soulevée par la circulaire du Jura », et se montra sympathique aux idées émises par le Congrès de Sonvillier. Alors, à l’instigation de Lafargue, quelqu’un proposa qu’il fût donné lecture de la contre-circulaire rédigée par le Comité du Temple-Unique ; mais, raconte la brochure marxiste L’Alliance, Morago et ses amis « étouffèrent la discussion ». Cette contre-circulaire dont la Fédération locale de Madrid avait repoussé les doctrines et les calomnies, la Emancipación, que dirigeait Mesa, et dont Lafargue était devenu dès la première heure le collaborateur assidu, la publia dans ses colonnes. En présence de cette attitude de l’organe de Mesa, les membres de la Fédération locale de Madrid résolurent d’opposer