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influents de l’Internationale en France,... heureusement nous ne sommes pas fusillés, et nous sommes là pour planter, en face des parlementaires ambitieux, des républicains repus, des prétendus démocrates de toute espèce, le drapeau à l’ombre duquel nous combattons, et pour lancer à l’Europe étonnée, malgré les calomnies, malgré les menaces, malgré les attaques de toute sorte qui nous attendent, ce cri qui sort du fond de notre conscience et qui retentira bientôt dans le coeur de tous les Français : Vive l’Empereur ![1] »

La plupart de ceux qui lurent la brochure des deux Lyonnais pensèrent qu’ils avaient été frappés d’aliénation mentale ; d’autres, qui les avaient vus à l’œuvre à Lyon, Dumartheray, Saignes, Camet, etc., déclarèrent que Richard était un gredin et Blanc une tête faible qui s’était laissé entraîner par un séducteur illuminé et canaille. Je ne puis me défendre de l’idée que si Bastelica était allé à Bruxelles en décembre, c’était pour y rencontrer Richard et Blanc, que probablement il avait déjà vus à Londres ; mais il repoussa leurs avances, — s’ils lui en firent, — et, quand la brochure parut, il fut un des plus ardents à la traiter d’infamie à la fois idiote et criminelle.


Cependant, à Genève, la Révolution sociale se trouvait, au point de vue financier, dans une position critique. Claris s’était embarqué dans son entreprise passablement à la légère, escomptant des abonnements qui ne pouvaient guère venir, puisque la France lui était fermée, et engageant de lourdes dépenses par la façon peu pratique — le gaspillage de petits caractères, en particulier — dont il faisait composer son journal. Dans le numéro du 21 décembre, il adressa un appel pressant aux amis de la cause communaliste et aux membres de la Fédération jurassienne, en avouant que, lors de la fondation du journal, « il avait complètement négligé le côté commercial et financier ». Le 28 décembre, le journal ne parut pas, faute d’argent. Le 4 janvier, quelques fonds étant rentrés, le n° 10 put paraître ; dans un avis placé en tête, Claris disait : « Une combinaison nouvelle avec la Fédération jurassienne est sur le point d’aboutir ; dans ce cas, la vie de notre journal se trouvera très sérieusement assurée ». En effet, ce jour-là même, dimanche 4 janvier, une réunion de délégués de nos Sections avait lieu à la Chaux-de-Fonds pour étudier les moyens de venir en aide à la Révolution sociale ; mais « les négociations entreprises pour la continuation du journal échouèrent » (Mémoire, p. 239), et le n° 10 fut le dernier. La Fédération jurassienne voulait, si elle devait s’imposer de nouveaux sacrifices pour la publication d’un journal, que cet organe fût bien à elle, et que la rédaction appartînt exclusivement à son Comité fédéral.

En attendant, nous avions, comme l’année précédente, pour aider à la propagande de nos idées, publié un petit almanach. L’Almanach du peuple pour 1872 parut à la fin de décembre ; il contenait des articles d’Adhémar Schwitzguébel, Michel Bakounine, Mme André Léo, Gustave Lefrançais, et un poème de B. Malon. L’article de Schwitzguébel était intitulé Le collectivisme, et voici la définition qu’il donnait de la doctrine acceptée par la majorité des délégués de l’Internationale au Congrès de Bâle : « Si l’Internationale admet comme base de l’organisme social la propriété collective du fond, des instruments de travail, de manière à ce qu’ils soient garantis à chaque travailleur, elle reconnaît cependant la liberté absolue qu’ont les individus, les groupes, de s’organiser comme ils l’entendent, de sorte que ce sera à ceux-ci de déterminer le mode de répartition des fruits du travail collectif dans chaque association. Ainsi, loin de tendre à un communisme autoritaire, le collectivisme assure parfaitement aux individus, aux groupes, le droit au produit du travail. » L’article de Bakounine était tout simplement un fragment du manuscrit rédigé par lui, du 4 au 20 juillet 1871, sous le titre de Protestation de

  1. Je cite ce texte d’après la brochure de Marx, Les prétendues scissions, etc., p. 36.