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et les jalousies et les acharnements qui s’en suivent, se donner carrière dans l’Association. » Sur quoi Mme André Léo s’afflige et dit : « Et moi qui avais cru que l’Association internationale était la société la plus démocratique qu’on put rêver, la plus large, la plus fraternelle ! » Son interlocuteur réplique : « Vous aviez raison, c’est bien là ce qu’elle doit être, ce qu’elle est en esprit, ce qu’il faut qu’elle soit ; car tous ceux qui voient en elle le grand instrument de la justice, ne l’abandonneront pas à la marche à rebours que travaillent à lui imprimer les cervelles allemandes et bismarckiennes… » Et l’auteur de l’article, après avoir entendu tout le détail de ce récit édifiant, s’écrie gaîment :


— Mais que la déesse Liberté nous soit en aide ! Car nous avons contrevenu à la dernière bulle papale, en divulguant ces choses aux Gentils[1], et en discutant l’infaillibilité du Conseil suprême. Nous voilà, nous aussi, menacés d’excommunication, et nous n’avons plus qu’à livrer notre âme au démon de l’Anarchie pour ce qui nous reste à dire.


Il y avait dans ce second article un mot de trop : il n’eût pas fallu parler de « M. de Bismarck «, ni de « cervelles bismarckiennes ». Quand nous eûmes, au Congrès de Sonvillier, à protester contre l’autoritarisme du Conseil général et contre les résolutions de la Conférence de Londres, la Fédération jurassienne sut se garder de ces fâcheuses exagérations de langage. Mais on trouvera sans doute que c’est tomber dans une faute plus grave encore que d’écrire, comme l’a fait Marx en 1872, à propos des articles de Mme André Léo dans la Révolution sociale :


Dès son premier numéro, ce journal s’empressa de se mettre au niveau du Figaro, du Gaulois, du Paris-Journal et autres organes orduriers dont il réédita les infamies contre le Conseil général[2].


Enfin, dans le no 3 (9 novembre), Mme André Léo adressait des critiques très sensées aux résolutions de la Conférence, et écrivait des choses très justes sur « l’unité » :


Tandis que la France, après avoir, depuis le commencement de ce siècle, construit la fausse unité, qui réduit toutes les initiatives diverses, toutes les forces, toutes les puissances, à la capacité d’une seule volonté et d’un seul cerveau, s’apercevant enfin de son erreur, s’efforce de détruire son œuvre, et arrache, en s’ensanglantant elle-même, la tunique fatale qui l’étouffe et la consume, l’Allemagne, la neuve, l’originale Allemagne, recommence, en l’an 1871, l’œuvre du grand Napoléon. Elle ne l’a pas inventée, c’est vrai, mais depuis cinquante ans elle la rumine. Et tandis que le courant de la Révolution, un instant dévié, roule vers l’Océan de la liberté, l’Allemagne, elle, remonte vers le despotisme.


Mais ensuite, se laissant tout à fait emporter non par le « démon de l’Anarchie », mais par cette intempérance de langue qui lui avait déjà joué un mauvais tour à Lausanne, elle disait ceci :


Le pangermanisme est là, et il affecte comme une maladie tous

  1. Allusion à la phrase finale de la résolution XVII de la Conférence de Londres, qui interdisait « aux journaux se disant organes de l’Internationale de discuter dans leurs colonnes, devant le public bourgeois, des questions à traiter exclusivement dans le sein des comités et du Conseil général, ou dans les séances privées et administratives des Congrès » : voir ci-dessus p. 212.
  2. Les prétendues scissions, etc., p. 15.