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augmenter les pouvoirs du Conseil fédéral, et lui donna entre autres le droit d'admettre ou de refuser les Sections nouvelles qui demanderaient à entrer dans la Fédération, et de prononcer sur les règlements des Sections et des Fédérations locales.

La Conférence espagnole décida d'envoyer un délégué à la Conférence de Londres, et choisit Lorenzo, qui, pressé par le temps, dut partir dès le 14 septembre, sans attendre la fin des travaux de ses collègues ; il passa par Paris, et le 16, vers minuit, il arrivait à Londres, chez Karl Marx, qui le reçut à bras ouverts. Voici comment Lorenzo a conté la réception qui lui fut faite :


Au bout d'un certain temps la voiture s’arrêta devant une maison. le cocher appela, et à cet appel se présenta un vieillard (un anciano) qui, encadré dans l'ouverture de la porte, recevant de face la lumière d'un réverbère, semblait la figure vénérable d'un patriaiche due à l’inspiration de quelque éminent artiste (parecia la figura venerable de un patriarca producida por la inspiración de eminente artista). Je m'avançai avec timidité et respect, m'annonçant comme délégué de la Fédération régionale espagnole de l'Internationale, et cet homme me serra entre ses bras, me baisa au front, m'adressa des paroles affectueuses en espagnol, et me fit entrer dans sa maison. C'était Karl Marx[1].


Rempli de vénération pour l'illustre « patriarche », Lorenzo était disposé à tout admirer, à tout croire, persuadé qu'il allait se trouver au milieu d'hommes animés des plus généreux sentiments et méritant toute sa confiance. Ce qu'il vit et entendit fut pour lui une cruelle désillusion. Je reproduis quelques passages de son récit, en supprimant à regret la partie anecdotique, fort intéressante, que j'engage mes lecteurs à chercher eux-mêmes dans l'original espagnol. Le témoignage de Lorenzo complétera celui que nous a laissé Robin :


Marx m'accompagna au local du Conseil[2] [le dimanche 17 septembre]. À la porte, avec quelques autres membres, je trouvai Bastelica, le Français qui avait présidé la première séance du Congrès de Barcelone : il me reçut avec les plus grandes démonstrations d'estime et de joie et me présenta à ses collègues, dont quelques-uns portaient un nom déjà connu dans l'histoire de l'Internationale ; je mentionnerai entre autres Eccarius, Jung, John Hales, Serraillier, Vaillant, réfugié de la Commune de Paris, etc. Marx me présenta à Engels, qui depuis ce moment se chargea de me donner l'hospitalité durant mon séjour à Londres. Dans la salle des séances je vis les délégués belges, et parmi eux César De Paepe, quelques Français, le Suisse Henri Perret et le Russe Outine, figure sinistre et antipathique (figura siniestra y antipática), qui, dans la Conférence, ne semblait avoir d'autre mission que d'attiser la haine et d'envenimer les passions, restant complètement étranger au grand idéal qui nous agitait, nous les représentants des travailleurs internationaux.

De la semaine employée dans cette Conférence, je garde un triste souvenir. L'effet produit sur mon esprit fut désastreux : j'espérais voir de grands penseurs, d'héroïques défenseurs des travailleurs,

  1. Anselmo Lorenzo, El Proletariado militante p. 314.
  2. Lorenzo veut dire « au local de la Conférence ». La Conférence, on l'a vu, se réunit à l'auberge des Blue Posts, près de Tottenham Court Road. Les séances du Conseil général avaient lieu à High Holborn, n° 256.