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Les persécutions dont l’Internationale avait été l'objet en Espagne au printemps et dans l'été de 1871 avaient engagé les membres du Conseil fédéral espagnol à prendre une mesure de prudence : les trois plus actifs d'entre eux, Morago. F. Mora, et Lorenzo[1], quittèrent Madrid (c'était deux jours avant la Fête-Dieu) et se transportèrent à Lisbonne, d'où ils publièrent, à la date du 6 août, une protestation adressée au ministre de l'intérieur. Les circonstances ne permettant pas la réunion d'un Congrès public tel qu'avait été celui de Barcelone en 1870, les Sections espagnoles décidèrent de remplacer leur Congrès de 1871 par une Conférence de délégués. qui se réunit secrètement à Valencia du 9 au 17 septembre 1871 : F. Mora et Lorenzo vinrent de Lisbonne pour y représenter le Conseil fédéral[2]. La Conférence élut un nouveau Conseil, de neuf membres, formé de trois membres de l'ancien Conseil, F. Mora, Anselmo Lorenzo et Angel Mora, et de six membres nouveaux : Paulino Iglesias[3], typographe, José Mesa, typographe[4], Hipolito Pauly, typographe, Victor Pagès, cordonnier, Inocente Calleja, orfèvre, et Valentin Sáenz, employé de commerce. L'esprit qui animait les représentants des Sections espagnoles réunis à Valencia est indiqué par la déclaration suivante, votée à l'unanimité :


Considérant que dans son véritable sens le mot République, en latin res publica, veut dire chose publique, chose appartenant à la collectivité, c'est-à-dire propriété collective ;

Que Démocratie est dérivé de democratia, qui signifie le libre exercice des droits individuels, lequel ne peut exister que dans l'anarchie, c'est-à-dire l'abolition des États politiques et juridiques, remplacés par des États ouvriers dont les fonctions seront purement économiques ;

Que les droits de l'homme étant impactables (impactables), imprescriptibles et inaliénables, il s'en déduit que la fédération doit être purement économique ;

La Conférence des délégués de la région espagnole de l'Association internationale des travailleurs, réunie à Valencia, déclare :

Que la véritable République démocratique fédérale est la propriété collective, l’anarchie, et la fédération économique, c’est-à-dire la libre fédération universelle des libres associations ouvrières agricoles et industrielles, formule qu'elle accepte dans toutes ses parties.


La Conférence de Valencia s'occupa aussi de compléter l'organisation de la Fédération espagnole par quelques dispositions statutaires qui lui parurent utiles ; s'inspirant des résolutions administratives du Congrès de Bâle, — que les délégués espagnols Sentiñon et Farga-Pellicer avaient votées, et contre lesquelles nul n'avait protesté encore, — elle crut devoir

  1. À la suite d'une sauvage agression des nationalistes de Madrid contre une manifestation organisée, le 2 mai 1871, par les socialistes espagnols et français, Borrel s'était complètement retiré du mouvement. Angel Mora, frère de Francisco Mora, resta à Madrid pour pouvoir, en continuant à y travailler de son métier de charpentier, aider pécuniairement son frère, secrétaire du Conseil fédéral.
  2. Morago avait donné sa démission de membre du Conseil fédéral à la suite de circonstances dont il sera parlé au chapitre III de la quatrième Partie.
  3. C'est celui qui, ayant changé de prénom, s'appelle aujourd'hui « Pablo » Iglesias.
  4. Ce José Mesa, qui prenait la qualité de « typographe » comme membre du Conseil fédéral, était en réalité journaliste ; il était attaché comme chroniqueur, aux appointements mensuels de cinquante duros (250 fr.). à la rédaction d'un journal de modes de Madrid, la moda elegante ; c'est comme « journaliste » qu'il avait été admis dans la Section des métiers divers (Sección Varia) de la Fédération madrilène, dont il était membre ; s'il eût été typographe, il aurait fait partie de la Section des typographes (Sección de tipógrafos de la Federación madrileña), à laquelle appartenaient Lorenzo, Iglesias et Pauty.