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La Commission impartiale choisit pour lieu de réunion le salon de Marx. Convoqué là, comme témoin, à huit heures du soir, je m'y rends avec la plus grande répugnance, mais exactement. Les demoiselles Marx, qui ont assisté [plus tard] à la dernière séance de la Conférence secrète, étaient présentes à cette réunion au moins aussi secrète. Ayant deux heures de chemin à faire pour revenir chez moi, je déclarai d'avance que je partirais à dix heures. On distribua des rafraîchissements pour renforcer l'impartialité, et l'on commença à neuf heures et demie. Un président est nommé pour la forme ; le compère Engels fera le procès-verbal, quoique non membre de la commission. Notre hôte, juge impartial, expose la question en faisant un réquisitoire dont on aura l'idée en lisant le commencement des Prétendues scissions[1]. Seulement ici il n'y a point encore de grosse insulte ; c'est mielleux comme paroles de gens d'église.

En résumé, d'après le témoin-accusateur-juge Marx, le différend suisse avait pour cause première les attaques publiées par les affiliés de l'Alliance dans les journaux le Progrès et l’Égalité contre le Conseil général, le désaveu des articles de ce dernier journal par les internationaux de Genève, et la révocation (sic) du Comité de rédaction par le Comité fédéral romand.

Je pris la parole comme si j'eusse cru que, grâce aux autres juges impartiaux (!), quelques explications loyales pourraient amener à un apaisement ; je racontai le vrai motif pour lequel le Comité de rédaction s'était retiré... Je remis une protestation des Sections des Montagnes contre tout jugement[2] (on avait cru prudent là-bas de faire remettre cette protestation par quelqu'un entre les mains de qui elle ne s’égarerait pas) ; j'ajoutai que pour mon compte je ne partageais qu'à moitié l'avis de mes amis, que je croyais à la Conférence le droit, le devoir et le pouvoir de tout concilier en reconnaissant et en traitant les deux Fédérations d'une manière égale, en les invitant à s'abstenir désormais de toute hostilité publique ; mais que la Conférence n'avait aucun droit de se prononcer entre les parties, l'une d'elles n'ayant pas été convoquée.

Perret fait l'étonné et demande à Jung si c'est vrai.

Jung, au lieu de répondre, recommence sa vieille histoire de la lettre à Guillaume laissée sans réponse et la tire en longueur[3].

Mon temps me pressait ; j'insiste pour avoir une réponse catégorique, et, non sans peine, je finis par obtenir un aveu.

Je me lève alors ; on veut me retenir, je refuse, déclarant que j'avais dit tout ce que j'avais à dire,

M. Outine s'écrie qu'il me déclare qu'il me met directement en cause. À quoi je lui réponds, en me retirant, que je lui renvoie son accusation avec le plus profond mépris.

On conçoit qu'il eût été peu digne de continuer à jouer un rôle quelconque dans cette comédie, de paraître à n'importe quel titre devant ce soi-disant tribunal où les formes les plus vulgaires dont la justice bourgeoise elle-même ne se départ jamais étaient outrageusement violées.

Aussi je remis à un ami, avec mission de la lire à la Conférence

  1. Les prétendues scissions dans l'Internationale, circulaire privée du Conseil général, 5 mars 1872. Il en sera parlé au chap. V de la Quatrième Partie.
  2. C'est la lettre signée Schwitzguébel, du 4 septembre : voir ci-dessus p. 188.
  3. Voir ci-dessus pages 17-18, 40 et 176.