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de la séance qui (c'était un dimanche anglais) n'avait pu être fixée qu'à cinq heures. Tout le monde était présent. Marx, très affairé, courait de l'un à l'autre de ses lieutenants et parfois disparaissait de la salle. Il paraît que c'est dans un de ces moments que, traduisant l'impatience générale, j'osai proposer de nommer Jung président et de commencer. On fut étonné de tant d'audace ; quelqu'un ajouta « provisoirement », et sauf Eccarius dont la religion ne fut pas ébranlée et qui vota contre, pour tous l'impatience l'emporta et Jung fut élu. Il ne voulut pas se permettre de s'asseoir au siège du président. Mais le bruit avait fait revenir Marx et son premier ministre [Engels] ; celui-ci reproposa de nommer un président, reproposa Jung, et, bien que j'eusse fait observer que la chose était déjà votée, l'assemblée revota, Eccarius compris, Jung prit place, et la séance commença.

Les premières séances de la Conférence se passent en vains bavardages, en insolences de M. Outine, en bredouillements d'Engels sous prétexte de traduction. On ne résout rien ; on nomme des commissions dont Marx et ses lieutenants sont les meneurs, le reste étant composé de personnages muets qui paraissent à peine. Marx lit un projet qu'il a fait avec Engels et que le Conseil général a approuvé avec sa docilité habituelle. Il est facile de voir que ce long factum et les commentaires qui l'accompagnent n'ont qu'un but unique, la démolition des ennemis particuliers de Marx, les citoyens Bakounine, Guillaume et Cie. Cependant si sûr que le maître puisse être de la composition de la Conférence, il se méfie de quelques étrangers naïfs qui pourraient faire des observations gênantes, proposer quelque amendement non suffisamment venimeux. Pour parer à cet inconvénient, la coterie Marx fait décider que la Conférence n’aura à voter aucune résolution positive : elle en votera seulement le sens, laissant au Conseil général le soin de la rédaction ultérieure. Grâce à ce truc habile, ces messieurs auront le droit de publier tout ce qu'ils voudront sous le nom de Résolutions de la Conférence. C'est tout simplement un faux avec circonstances aggravantes.


En ce qui concerne le différend entre les deux Fédérations de la Suisse romande, voici ce que raconte Robin :


C'est l'agent Outine qui expose la question suisse, en vomissant un monceau d'injures, en lançant une foule d'épithètes malsonnantes, qu'il ne cessera pas de mériter pour les avoir prodiguées à d'honnêtes gens. Quand il s'agit de nommer la commission pour étudier cette question, ce monsieur propose avec aplomb en première ligne le compère Marx. J'ose faire remarquer que la Commission devrait être composée d'hommes tout à fait impartiaux. Outine s'indigne, Marx joue la petite comédie de circonstance ; De Paepe, par naïveté véritable ou feinte, vient à la rescousse en racontant une anecdote où le mot de « marxien » est prononcé ; la claque s'en mêle, et Marx est forcé d'accepter[1]. On lui adjoint le respectueux Eccarius, un silencieux Irlandais [Mottershead] qu’il a récemment présenté dans l'Internationale et au Conseil, un Français et un Belge qui peuvent passer pour indépendants.

  1. De Paepe a toujours témoigné à Marx beaucoup de déférence. Sur la façon dont Marx et Engels, en retour, jugeaient De Paepe, voir une note vers la fin du chap. VI de la Quatrième Partie.