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qui mène au sommet sur lequel est juchée la chapelle de la Madonna del Sasso : Bakounine, naturellement, n’était pas là, mais Grassi m’accompagnait ; comme il ne savait pas un mot de français, je tâchais de lui parler italien, et je me rappelle combien me surprenait la prononciation florentine de mon interlocuteur, avec ses étranges intonations gutturales, héritage des vieux Étrusques : je compris pour la première fois la raison d’être du dicton italien, lingua toscana in bocca romana. Dans l’après-midi, quand le soleil déclinait, Bakounine, après avoir pris le thé, sortait pour faire une promenade : nous allâmes ensemble, une fois ou deux, sur la route de Minusio, au nord-est de Locarno. Nous passions la soirée, jusqu’à une heure avancée de la nuit, sous les arbres du jardin, à jouir de la fraîcheur ; il me demanda un soir de chanter, car il aimait beaucoup la musique, et je me souviens que je lui chantai l’Hymne à la Nuit, du Désert de Félicien David. Je ne crois pas être resté plus de deux jours à Locarno. Je repartis enchanté de ma visite, très content d’avoir vu de mes yeux la retraite où mon grand ami vivait tranquille depuis deux ans, mais ne rapportant de mon expédition au-delà des Alpes qu’un seul bénéfice positif : la recette du risotto, qu’à ma prière Bakounine avait demandée pour moi à Mme Pedrazzini.


On sait que Marx publia, quelque temps après la Commune, au nom du Conseil général de l’Internationale, une brochure écrite en anglais, datée du 30 mai 1871, intitulée La guerre civile en France (The Civil War in France). Cette brochure, qui, publiée également en allemand, fut beaucoup lue et appréciée en Allemagne[1], passa à peu près inaperçue en France et dans les pays latins. La traduction française ne parut qu’en juin 1872, à Bruxelles.

Dans un passage remarquable de cet écrit, Marx a défini en ces termes l’idée moderne de Commune (je traduis sur l’original anglais, n’ayant pas la traduction française) :

« L’unité nationale ne devait pas être brisée, mais, tout au contraire, organisée, par la constitution communale ; elle devait devenir une réalité par la destruction du pouvoir de l’État, qui prétendait être l’incarnation de cette unité, indépendant de la nation et supérieur à elle, tandis qu’il n’en est qu’une excroissance parasite. Les organes purement répressifs de l’ancien pouvoir gouvernemental une fois supprimés, ses fonctions légitimes, enlevées à une autorité qui usurpait la prééminence sur la société elle-même, devaient êre restituées aux agents responsables de la société... C’est la destinée ordinaire des créations historiques complètement nouvelles, d’être prises, par erreur, pour la reproduction de formes plus anciennes, et même défuntes, de la vie sociale, avec lesquelles elles peuvent offrir une certaine ressemblance. On a voulu voir, à tort, dans cette nouvelle Commune, qui brise le pouvoir de l’État moderne, la reproduction des Communes du moyen âge, qui ont précédé, d’abord, ce pouvoir d’État, et en sont devenues ensuite le substratum même. On a voulu y voir aussi une tentative d’émietter en une fédération de petits États, comme l’avaient rêvée Montesquieu et les Girondins, cette unité des grandes nations, qui, si elle a été produite, à l’origine, par la force politique, est devenue aujourd’hui un puissant coefficient de la production sociale. On a voulu voir, enfin, dans l’antagonisme de la Commune contre le pouvoir de l’État, une forme exagérée de l’ancienne lutte entre l’excès de centralisation. Autant d’interprétations erronées. La constitution communaliste aurait restitué au corps social toutes les forces jusqu’à présent absorbées par l’État, ce parasite qui exploite et qui entrave le libre mouvement de la société. Par ce seul acte, elle aurait inauguré la régénération de la France.

« La Commune a été en même temps, en sa qualité de hardi champion de l’émancipation du travail, éminemment internationale. Sous les yeux

  1. Fr. Mehring écrit qu’ « elle est restée jusqu’à ce jour l’ouvrage classique sur la Commune de Paris (die klassische Schrift über die Pariser Kommune) ».