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pays, avertis, d’un côté, par le concours matériel et moral que, dans les époques de lutte, ils trouvent dans les ouvriers de tous les autres métiers et de tous les autres pays, et de l’autre par la réprobation et par l’opposition systématique et haineuse qu’ils rencontrent, non seulement de la part de leurs propres patrons, mais aussi des patrons des industries les plus éloignées de la leur, de la part de la bourgeoisie tout entière, arrivent enfin à la connaissance parfaite de leur situation et des conditions premières de leur délivrance. Ils voient que le monde social est réellement partagé en trois catégories principales : 1° les innombrables millions de prolétaires exploités ; 2° quelques centaines de milliers d’exploiteurs du second et même du troisième ordres ; et 3° quelques milliers, ou tout au plus quelques dizaines de milliers, de gros hommes de proie ou capitalistes bien engraissés qui, en exploitant directement la seconde catégorie, et indirectement, au moyen de celle-ci, la première, font entrer dans leurs poches immenses au moins la moitié des bénéfices du travail collectif de l’humanité tout entière.

Du moment qu’un ouvrier est parvenu à s’apercevoir de ce fait général et constant, quelque peu développée que soit son intelligence, il ne peut manquer de comprendre bientôt que, s’il existe pour lui un moyen de salut, ce moyen ne peut être que l’établissement et l’organisation de la plus étroite solidarité pratique entre les prolétaires du monde entier, sans différence d’industries et de pays, dans la lutte contre la bourgeoisie exploitante.

Voilà donc la base de la grande Association internationale des travailleurs toute trouvée. Elle nous a été donnée non par une théorie issue de la tête d’un ou de plusieurs penseurs profonds, mais bien par le développement réel des faits économiques, par les épreuves si dures que ces faits font subir aux masses ouvrières, et par les réflexions, les pensées qu’ils font tout naturellement surgir dans leur sein. Pour que l’Association ait pu être fondée, il avait fallu que tous ces éléments nécessaires qui la constituent : faits économiques, expériences, aspirations et pensées du prolétariat, se fussent déjà développés à un degré assez intense pour former une base solide. Il avait fallu qu’au sein même du prolétariat il se trouvât déjà, parsemés dans tous les pays, des groupes ou associations d’ouvriers assez avancés pour pouvoir prendre l’initiative de ce grand mouvement de la délivrance du prolétariat. Après quoi vient sans doute l’initiative personnelle de quelques individus intelligents et dévoués à la cause populaire.

Nous saisissons cette occasion pour rendre hommage aux illustres chefs du parti des communistes allemands, aux citoyens Marx et Engels surtout, aussi bien qu’au citoyen Ph. Becker, notre ci-devant ami, maintenant notre adversaire implacable, qui furent, autant qu’il est donné à des individus de créer quelque chose, les véritables créateurs de l’Association internationale. Nous le faisons avec d’autant plus de plaisir, que nous nous verrons forcés de les combattre bientôt. Notre estime pour eux est sincère et profonde, mais elle ne va pas jusqu’à l’idolâtrie et ne nous entraînera jamais à prendre vis-à-vis d’eux le rôle d’esclave. Et tout en continuant à rendre pleine justice aux immenses services qu’ils ont rendus et rendent même encore aujourd’hui à l’Association internationale, nous combattrons à outrance leurs fausses théories autoritaires, leurs