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discussion dans le seul espoir d’arriver à un apaisement définitif. J’avais beaucoup réfléchi pour trouver le moyen de n’attaquer personne, et d’arriver à la reconnaissance des deux Fédérations d’une manière égale, et surtout à la fin de toute hostilité publique.


Cependant Joukovsky était revenu à Genève dans les derniers jours de juin, et la copie des deux documents, réclamée par Kobin, avait pu être expédiée à celui-ci. Les manœuvres employées par nos adversaires nous prouvaient que les haines n avaient pas désarmé ; mais nous étions sans crainte. Le Conseil général avait pu se tromper et être trompé ; des explications claires, des preuves documentaires l’obligeraient à reconnaître son erreur. Et d’ailleurs, si les événements avaient fait supprimer le Congrès général en 1870, il n’en serait pas de même en 1871 ; et devant le Congrès, dans le grand jour des discussions, la pleine lumière se ferait, les intrigants et les imposteurs seraient démasqués. Nous ne doutions pas que la force irrésistible de la vérité s’imposât à tous, et fît crouler tout le vain échafaudage du mensonge.


Depuis son retour à Locarno, Bakounine s’occupait à préparer la suite de L’Empire knouto-germanique. Il m’avait repris les pages 139-285 de son manuscrit, et son calendrier-journal le montre commençant le 5 juin la rédaction d’un « Préambule pour la seconde livraison » ; il continue à l’écrire les jours suivants ; il note, le 12, une lecture de Kolb (Kulturgeschichte) ; le lendemain, il reçoit l’Histoire universelle de Schlosser ; il est question pour la dernière fois du Préambule le 13 juillet[1].

On trouve, dans ce « Préambule pour la seconde livraison », un exposé très net des deux tendances qui se partageaient à ce moment le socialisme, et un jugement sur la portée historique de cette grande manifestation révolutionnaire que fut la Commune de Paris. Au sujet des deux tendances, celle des « socialistes ou collectivistes révolutionnaires » et celle des « communistes autoritaires », Bakounine s’exprime ainsi :


Je suis un amant fanatique de la liberté, la considérant comme l’unique milieu au sein duquel puissent se développer et grandir l’intelligence, la dignité et le bonheur des hommes... ; la liberté qui, après avoir renversé toutes les idoles célestes et terrestres, fondera et organisera un monde nouveau, celui de l’humanité solidaire, sur les ruines de toutes les Églises et de tous les États. Je suis un partisan convaincu de l’égalité économique et sociale, parce que je sais qu’en dehors de cette égalité, la liberté, la justice, la dignité humaine, la moralité et le bien-être des Individus aussi bien que la prospérité des nations, ne seront jamais rien qu’autant de mensonges. Mais, partisan quand même de la liberté, cette condition première de l’humanité, je pense que l’égalité doit s’établir dans le monde par l’organisation spontanée du travail et de la propriété collective des associations productrices librement organisées et fédéralisées dans les communes, et par la fédération tout aussi spontanée des communes, mais non par l’action suprême et tutélaire de l’État.

C’est là le point qui divise principalement les socialistes ou collectivistes révolutionnaires des communistes autoritaires partisans de l’initiative absolue de l’État. Leur but est le même : l’un et l’autre parti veulent également la création d’un ordre social nouveau, fondé

  1. Le début de ce Préambule a été publié dans le Travailleur de Genève, numéro d’avril-mai 1878, sous ce titre imaginé par Élisée Reclus : La Commune de Paris et la notion de l’État. Une édition complète de ce morceau (resté inachevé), d’après le manuscrit original (14 feuillets), a été faite en 1892 par Bernard Lazare dans les Entretiens politiques et littéraires.