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Madame Dmitrieff, connue aussi sous le nom de la citoyenne Élise, est une admiratrice fanatique de Marx, qu’elle appelle, en style de synagogue, le Moïse moderne. Elle venait de passer quelque temps auprès de lui à Londres (en février), et s’était ensuite rendue à Genève, munie évidemment d’instructions confidentielles. Ce fut après son arrivée que fut remise sur le tapis la question de l’Alliance, et qu’on fit en assemblée générale des Sections genevoises cette fameuse déclaration, que l’Alliance n’avait jamais été reçue dans l’Internationale.

Cependant, quand on avait imprudemment affirmé que les lettres d"Eccarius et de Jung étaient des faux, tout n’était pas fini par là ; il fallait encore le prouver ; et pour cela on s’adressa de Genève au Conseil général. Le secrétaire perpétuel de la coterie genevoise, Henri Perret, écrivit donc à Londres, pour demander ce qu’il fallait penser, en réalité, de l’authenticité des deux lettres[1].


Ce qui se passa au Conseil général de Londres, après la réception de la lettre écrite par Henri Perret, a été raconté par Robin dans un document rédigé en 1872 sous le titre de Mémoire justificatif[2], et qu’il m’envoya :


J’arrivai à Londres en octobre 1870, — raconte Robin, qui fait connaître, au début de son Mémoire, ses relations avec Marx : — ... sitôt que j’y eus trouvé de modestes et temporaires moyens d’existence, je fus présenté au Conseil général par le citoyen Marx et admis à l’unanimité. Pendant plusieurs mois, peu familiarisé avec la langue anglaise, je pris à peine part aux travaux du Conseil, d’ailleurs presque nuls à ce moment... Exclusivement préoccupé de la guerre… je revins à l’espoir le 18 mars. Que j’aurais voulu alors courir à Paris et prendre part à la grande lutte sociale ! Mais d’un côté j’étais très souffrant, de l’autre je venais d’obtenir une position qui assurait pour quelques mois la vie de ma famille. C’était par un hasard véritable que mes enfants avaient échappé à la mort : sans la police belge j’allais en effet vers le 8 septembre m’enfermer dans Paris[3], et l’on sait que les enfants en bas âge n’en sont pas revenus. Après cela je n’eus pas le courage de les laisser avec leur mère isolée et sans ressource aucune, en pays étranger. D’autres révolutionnaires auraient peut-être passé là-dessus ; en ne le faisant pas, je ne crus pas perdre le droit de travailler encore à la révolution sociale, et je me promis de racheter mon abstention d’alors. D’ailleurs, quoique n’ayant plus, depuis des années, l’ombre de confiance dans les bourgeois libéraux, je ne pouvais croire de leur part à une guerre d’exter-

  1. Mémoire de la Fédération jurassienne, p. 198.
  2. J’ai utilisé ce manuscrit de Robin, dont j’ai déjà cité quelques passages dans le tome Ier, pour la rédaction de la plupart des pages du Mémoire de la Fédération jurassienne qui concernent la Conférence de Londres.
  3. Sur l’odyssée de Robin après sa sortie de la prison de Beauvais, le 5 septembre 1870, voir ci-dessus p. 103.