Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/485

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Oui, chers compagnons, vous, les ouvriers, solidairement unis avec vos frères les travailleurs du monde entier, vous héritez aujourd’hui de la grande mission de l’émancipation de l’humanité. Vous avez un co-héritier, travailleur comme vous, quoique à d’autres conditions que vous : c’est le paysan. Mais le paysan n’a pas encore la conscience de la grande mission populaire. Il a été empoisonné, il est encore empoisonné par les prêtres, et sert contre lui-même d’instrument à la réaction. Vous devez l’instruire, vous devez le sauver malgré lui en l’instruisant, en lui expliquant ce que c’est que la Révolution sociale.

Dans ce moment et surtout au commencement, les ouvriers de l’industrie ne doivent, ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Mais ils seront tout-puissants s’ils le veulent. Seulement ils doivent le vouloir sérieusement. Et pour réaliser ce vouloir ils n’ont que deux moyens. C’est, d’abord, d’établir dans leurs groupes, et ensuite entre tous les groupes, une vraie solidarité fraternelle, non seulement en paroles, mais en action ; non pas seulement pour les jours de fête, de discours et de boisson, mais dans leur vie quotidienne. Chaque membre de l’Internationale doit pouvoir sentir, doit être pratiquement convaincu, que tous les autres membres sont ses frères.

L’autre moyen, c’est l’organisation révolutionnaire, l’organisation pour l’action. Si les soulèvements populaires de Lyon, de Marseille et des autres villes de France ont échoué, c’est parce qu’il n’y avait aucune organisation. Je puis en parler avec pleine connaissance de cause, puisque j’y ai été et que j’en ai souffert. Et si la Commune de Paris se tient si vaillamment aujourd’hui, c’est que pendant tout le siège les ouvriers se sont sérieusement organisés. Ce n’est pas sans raison que les journaux bourgeois accusent l’Internationale d’avoir produit ce soulèvement magnifique de Paris. Oui, disons-le avec fierté, ce sont nos frères les internationaux qui, par leur travail persévérant, ont organisé le peuple de Paris et ont rendu possible la Commune de Paris.

Soyons donc bons frères, compagnons, et organisons-nous. Ne croyez pas que nous soyons à la fin de la Révolution, nous sommes à son commencement. La Révolution est désormais à l’ordre du jour, pour beaucoup de dizaines d’années. Elle viendra nous trouver, tôt ou tard. Préparons-nous donc, purifions-nous, devenons plus réels, moins discoureurs, moins crieurs, moins phraseurs, moins buveurs, moins noceurs ; ceignons nos reins et préparons-nous dignement à cette lutte qui doit sauver tous les peuples et émanciper finalement l’humanité. Vive la Révolution sociale, vive la Commune de Paris ![1]


J’allai rendre visite à Bakounine, une fois, pendant son séjour à Sonvillier. Il commençait à s’y ennuyer, et me le dit. Si, parmi les ouvriers, il y avait quelques natures d’élite, un trop grand nombre d’entre eux manquaient de la solidité de caractère qui seule peut faire des révolutionnaires sérieux et sûrs ; « crieurs » et « buveurs », comme il le leur avait dit, ceux-là pouvaient bien se laisser entraîner à un acte de révolte dans un moment d’exaltation passagère, mais n’étaient pas capables d’action réfléchie, volontaire et prolongée.

  1. Ces trois conférences ont été publiées par Max Nettlau dans la revue la Société Nouvelle, à Bruxelles (mars et avril 1895), mais malheureusement d’après une copie très fautive et incomplète. Le manuscrit original de Bakounine est en ma possession ; il m’a été remis, à l’époque, par Adhémar Schwitzguébel.