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tiers ; c’est à ce moment que les blanquistes essayèrent d’accaparer le mouvement à leur profit, et que Trochu et Ferry, qui n’étaient plus retenus prisonniers parce que la victoire semblait achevée, allèrent chercher les mobiles bretons qui reprirent l’hôtel de ville sans résistance. La terreur que Trochu et ses collègues, revenus au pouvoir, jetèrent dans la population par les mesures qu’ils prirent le lendemain, par les arrestations[1], par les suppressions de journaux, etc.. explique suffisamment comment il ne s’est trouvé, quelques jours plus tard, au fameux vote par oui et par non, que soixante mille voix pour protester jusqu’au bout.

Trois mois plus tard, à la veille de la capitulation, lorsque le gouverneur de Paris , reniant sans pudeur son serment de ne jamais capituler, livrait la ville à l’ennemi, quelques membres de l’Internationale se levèrent encore pour protester. Ils furent accueillis par les coups de fusil des mobiles bretons. Ce fut la journée du 22 janvier. Trochu resta le maître, et l’on vit alors cette chose inouïe : huit cent mille hommes armés, trahis par leurs chefs, obligés de poser les armes devant quatre cent mille ennemis.

Nous n’avons encore parlé que de la France. Rendons à chacun ce qui lui est dû. Une partie des ouvriers allemands a noblement et courageusement protesté contre la guerre. Le Comité central des Sections internationales allemandes[2], siégeant à Brunswick, a été jeté en prison par le gouvernement prussien ; Bebel et Liebknecht, dont on n’a pas oublié les fières paroles au Reichstag, ont été emprisonnés à leur tour. Tout cela n’a pas abattu le courage de nos amis : le Volksstaat de Leipzig et le Proletarier d’Augsbourg ont continué à défendre avec la même énergie la cause du droit et de la justice.

Mais quelle infime minorité forment ces hommes convaincus ! Combien sont-ils en Allemagne, hélas ! dont nous puissions nous dire encore les frères ? L’immense majorité des ouvriers allemands ne s’est-elle pas grisée, comme la bourgeoisie, des victoires de Bismarck ? et ne sommes-nous pas obligés aujourd’hui, tout en faisant une honorable exception pour les amis dont nous venons de parler, de considérer le peuple allemand, dans sa masse, comme un obstacle à la Révolution ?

Oui, il faut le dire sans ambages, l’esprit révolutionnaire semble s’être retiré de la race allemande, et il est aujourd’hui concentré dans les pays de race latine, la Belgique, la France, l’Italie et l’Espagne. C’est au prolétariat de ces pays à sauver l’Europe du danger dont la menace cet ennemi de toute liberté qui s’appelle l’Empire allemand. La France révolutionnaire tendra sa main fraternelle au prolétariat de l’Allemagne, qui, après avoir fait l’expérience de ce que coûte la gloire militaire, entrera lui-même dans la voie de la révolution.

  1. On sait que, si des mandats d’amener avaient été lancés rentre Blanqui et ses amis Tridon, Eudes, Jaclard, Levraud, Ranvier, etc., de même que contre Flourens et Félix Pyat, on arrêta aussi Vermorel et Lefrançais. Millière et Vallès, également poursuivis, purent se soustraire à l’arrestation.
  2. Mal informés, nous croyions, à ce moment-là, qu’il existait des Sections de l’Internationale en Allemagne, tandis que, à cause des entraves de la législation, il ne pouvait y avoir dans ce pays que des adhérents individuels à notre Association.