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Il se rendit à nos sollicitations, et décida de se rendre en Suisse en passant par Gênes, vers le milieu du mois d’octobre[1]. Bien que cela ne fût pas absolument indispensable, et par mesure de précaution, un ami lui apporta de Suisse un faux passeport. Durant son séjour à Marseille, il avait été obligé de vendre jusqu’à son revolver pour pouvoir vivre, et il dut emprunter, pour faire son voyage, une petite somme qui, malgré son exiguïté, ne fut pas réunie sans peine.

Il avait été résolu qu’un voyage par mer offrirait plus de sécurité, il s’embarquerait sur un des bateaux qui font régulièrement le service entre les deux ports. Mais celui de Marseille pouvant être l’objet d’une active surveillance, nous nous adressâmes au commissaire du port, dans le but d’obtenir son concours pour éviter les dernières chances de péril. Le citoyen Lombard, qui n’avait accepté les fonctions qu’il remplissait que par dévouement à la Révolution, car on les lui avait imposées malgré lui, et qui fut plus tard condamné à dix années de travaux forcés, qu’il subit aujourd’hui, pour sa participation au mouvement communaliste de Marseille, s’empressa de se mettre à notre disposition pour faciliter son départ.

Tout donc se trouvant prêt, notre ami prit une dernière mesure de prudence, presque indispensable pour un homme d’un signalement aussi facile que le sien : il fit tomber sa barbe et ses longs cheveux, et affubla ses yeux d’une paire de lunettes bleues. Après s’être regardé dans une glace ainsi transformé : Ces Jésuites-là me font prendre leur type, dit-il en parlant de ses persécuteurs. Nous montâmes en voiture, et nous nous rendîmes au bureau du commissaire du port.

Le citoyen Lombard nous attendait. Il avait fait préparer un déjeuner au chocolat, et était tout joyeux de pouvoir être utile à notre regretté compagnon. Il lui présenta ses enfants, et, l’heure de partir étant venue, il fit venir le canot de l’administration et nous accompagna à bord.

Le capitaine était un de mes amis personnels, ancien camarade de collège. Je n’eus donc aucun scrupule de lui dire le nom véritable du voyageur qu’il venait de prendre, et de le lui recommander. Lobard en fit autant, et, en effet, nous sûmes plus tard qu’il s’était montré pour lui plein d’égards. Bientôt le signal du départ se fit entendre. Nous descendîmes à terre, et Bakounine s’éloigna de ces rivages inhospitaliers où son amour pour la cause du peuple était si mal récompensé, et que, hélas ! il ne devait plus revoir.


Bakounine arriva à Locarno, par Gênes et Milan, le 27 ou le 28 octobre, il se mit aussitôt à écrire un nouvel ouvrage. Il laissa inachevé le manuscrit de 114 pages commencé à Marseille. Il avait également mis de côté, je l’ai dit, la suite déjà rédigée (pages 81 bis-125) de sa brochure de septembre. Mais le nouveau livre qu’il entreprenait devait être, lui aussi, une suite des Lettres à un Français, et il plaça en tête, comme il l’avait déjà fait pour le manuscrit (114 p.) de Marseille, la reproduction partielle de la lettre à Palix du 29 septembre. Ross, qui alla le voir à Locarno dans le courant de novembre, lui promit de chercher à réunir les fonds nécessaires à la publication de l’ouvrage, parmi les étudiants russes de Zurich et d’ailleurs.

À Marseille cependant, où venaient d’arriver Sentiñon, Mroczkowski,

  1. C’était, comme on l’a vu, au commencement de la dernière semaine d’octobre.