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me délivrer. Je sortis avec mes libérateurs de l’hôtel de ville, où il n’y avait plus un seul membre du Comité. Pendant une nuit et un jour je restai à Lyon, caché chez un ami. Les bourgeois triomphants cette fois me cherchèrent partout, et le lendemain soir je partis pour Marseille, où je me tiens caché. Vous voyez bien que ce n’a été là qu’une petite aventure, rien qu’une partie remise. Les amis, devenus plus prudents, plus pratiques, travaillent activement à Lyon comme à Marseille, et nous aurons bientôt notre revanche, à la barbe des Prussiens.

Je vous dirai, mon cher, que tout ce que je vois ici ne fait que me confirmer dans l’opinion que j’avais de la bourgeoisie : ils sont bêtes et canailles à un degré qui dépasse l’imagination. Le peuple ne demande qu’à mourir en combattant les Prussiens à outrance. Eux, au contraire, ils désirent, ils appellent les Prussiens, dans le fond de leur cœur, dans l’espoir que les Prussiens vont les délivrer du patriotisme du peuple. Il ne manque qu’une seule chose pour organiser une défense formidable, c’est l’argent. Eh bien ! les bourgeois se refusent à donner cet argent, et on parle déjà partout de les y forcer. Les contributions forcées, tel est le seul moyen. Et l’on y aura recours bientôt, je vous assure. En attendant, le général Garibaldi vient de faire son entrée triomphale à Marseille, hier soir à dix heures ; aujourd’hui à neuf heures il est reparti pour Tours, où il sera demain soir.

Au sujet de tous ces événements je termine une brochure très détaillée que je vous enverrai bientôt[1]. Vous a-t-on envoyé de Genève, comme je l’ai bien recommandé, une brochure sous ce titre : Lettres à un Français ?

C’est une guerre à mort entre la révolution populaire, non bourgeoise, — il n’y a plus de révolution bourgeoise, ces deux mots désormais s’excluent, — et le despotisme militaire, bureaucratique et monarchique qui triomphe aujourd’hui en Allemagne. Mais que se passe-t-il en Italie ? Donnez-moi des nouvelles de Milan, je vous prie.

Écrivez-moi à l’adresse suivante : « France, Marseille, Madame Bastelica, 32, boulevard des Dames » ; intérieurement : « Pour Michel ». Il est probable que je retournerai bientôt à Lyon, mais vos lettres ainsi adressées me parviendront toujours....

Votre dévoué M. B.

Cluseret, ayant perdu la confiance de la bourgeoisie et du peuple, s’est réfugié à Genève[2].


Peu de jours après, Bakounine tâchait de déterminer les Lyonnais à

  1. Cette « brochure », restée inachevée et inédite, et qui devait être une suite des Lettres à un Français, est un manuscrit de 114 pages dont Nettlau a donné l’analyse à la p. 522 de sa biographie de Bakounine. Il commence par ces mots empruntés à la lettre réelle écrite à Palix le 29 septembre : « Mon cher ami, je ne veux pas partir de Lyon sans t’avoir dit un dernier mot d’adieu », et continue par une critique détaillée des actes du gouvernement de la Défense nationale pendant le premier mois de son existence. La date de ce manuscrit est déterminée par plusieurs passages où il est question des événements du jour ; Bakounine dit (p. 18) qu’un mois s’est écoulé depuis la proclamation de la République ; il parle d’Orléans (p. 38) comme déjà occupé par les Prussiens (l’occupation d’Orléans eut lieu le 10 octobre) ; il fait mention (p. 41) de l’élection projetée d’une Constituante, qui avait été fixée au 16 octobre ; il dit que Gambetta est membre du gouvernement de la Défense nationale depuis trente-cinq jours (p. 85).
  2. Lettre publiée par Nettlau, note 4038.