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Conseil général de Londres pour la France, avait envoyé, au nom de ce Conseil, à tous les correspondants français des instructions sur la ligne de conduite à suivre. Voici ce qu’il avait écrit à Albert Richard (lettre imprimée par Oscar Testut) :


Londres, 6 septembre 1870.

Mon cher Richard, La piteuse fin du Soulouque impérial nous amène au pouvoir les Favre et les Gambetta. Rien n’est changé. La puissance est toujours à la bourgeoisie. Dans ces circonstances, le rôle des ouvriers ou plutôt leur devoir est de laisser cette vermine bourgeoise faire la paix avec les Prussiens (car la honte de cet acte ne se détachera jamais d’eux), ne pas les affermir par des émeutes, mais profiter des libertés que les circonstances vont apporter pour organiser toutes les forces de la classe ouvrière. La bourgeoisie, qui est dans ce moment affolée de son triomphe, ne s’apercevra pas tout d’abord des progrès de l’organisation, et pour le jour de la véritable guerre les travailleurs seront prêts ... Sers-toi des pouvoirs que t’a donnés le Conseil général pour arriver à ce but.


On trouve les mêmes idées dans le Manifeste (rédigé par Marx) adressé à la date du 9 septembre à tous les membres de l’Internationale par le Conseil général. On y lit :


Les classes ouvrières françaises traversent des circonstances extrêmement difficiles. Toute tentative de renverser le nouveau gouvernement, dans la crise actuelle, quand l’ennemi est presque aux portes de Paris, serait une folie désespérée. Les ouvriers français doivent remplir leurs devoirs de citoyens ; mais, en même temps, il ne faut pas qu’ils se laissent entraîner par les souvenirs de 1792, comme les paysans français se sont laissé précédemment duper par les souvenirs du premier Empire[1]. Ils n’ont pas à recommencer le passé, mais à édifier l’avenir. Qu’ils profitent avec calme et résolution des facilités que leur donne la liberté républicaine, pour travailler à leur organisation de classe. Cela les dotera d’une vigueur herculéenne pour la régénération de la France et notre tâche commune, l’émancipation du travail. De leur énergie et de leur sagesse dépend le sort de la République[2].


Ainsi, ces Messieurs du Conseil général, qui recommandaient habituellement la participation des ouvriers aux mouvements politiques, trouvaient à propos, en cette circonstance, quand les armées allemandes envahissaient la France, d’ordonner aux ouvriers français de se désintéresser de la guerre, d’écarter de leur mémoire les souvenirs de 1792, et de laisser, sans intervenir, conclure une paix honteuse avec le roi de Prusse, sous le prétexte qu’il était bon que cette honte s’attachât à la « vermine bourgeoise » ; ils leur ordonnaient surtout de ne pas faire des « émeutes », attendu que les mouvements insurrectionnels, selon eux, « affermiraient » les gouvernants ! Et c’était nous, au contraire, — ceux qu’ils appelaient les

  1. Comment Marx a-t-il osé assimiler les « souvenirs de 1792 », les souvenirs du grand soulèvement révolutionnaire contre les armées de la coalition monarchique, aux « souvenirs du premier Empire » ? Inconscience ou perfidie ?
  2. Je ne vois pas très bien comment cette façon de conseiller aux ouvriers le calme et la sagesse, de les dissuader de vouloir faire ce que firent leurs pères de 1792 (c’est-à-dire de battre les Prussiens), se concilie avec l’appel à l’action qui termine le manifeste (voir p. 88) : mais c’est affaire à Marx de se mettre d’accord avec lui-même.