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que d’autres criaient : « Ne lui faites point de mal ». Enfin la bourgeoisie s’est montrée ce qu’elle est partout : brutale et lâche. Car tu n’ignores pas que j’ai été délivré par quelques francs-tireurs qui ont mis en fuite un nombre triple ou même quadruple de ces héroïques boutiquiers armés de leurs chassepots. J’ai été délivré. — mais de tous les objets qui m’avaient été dérobés par ces messieurs, je n’ai pu retrouver que mon revolver. Mon carnet et ma bourse, qui contenait 165 francs et quelques sous, sont sans doute restés entre les mains de ces messieurs... Je te prie de les réclamer en mon nom ; tu me les renverras quand on te les aura rendus.[1]


Bakounine avait jugé et qualifié sévèrement, à l’instant même, la conduite de ceux des membres du Comité révolutionnaire qui voulaient capituler pour éviter une collision qu’ils redoutaient, et il leur avait dit, pendant qu’ils délibéraient encore à l’hôtel de ville, ce qu’il pensait d’eux. Il condamna également la tactique adoptée ensuite par certains d’entre eux, qui renièrent publiquement toute pensée révolutionnaire : tel Albert Richard, écrivant le 1er octobre, de la retraite où il s’était mis à l’abri, au Progrès de Lyon pour atténuer et dénaturer la signification du mouvement du 28 septembre, dont le but, prétendait-il, « n’était pas de faire appliquer le programme de l’affiche[2] ». Dans un projet de lettre à Esquiros (20 octobre), dont il sera parlé plus loin, Bakounine écrit à ce sujet : « Plusieurs de mes amis, dans des lettres qu’ils ont écrites au Progrès de Lyon, ont eu la faiblesse de nier le but réel de cette manifestation manquée. Ils ont eu tort. Dans les temps comme celui au milieu duquel nous vivons, on doit avoir, plus qu’à toute autre époque, le courage de la vérité. » Enfin, dans une lettre adressée seize mois plus tard à la Tagwacht, de Zurich, le 14 février 1872, Bakounine résuma son appréciation dans les termes suivants :


La couardise de l’attitude de Richard a été une des causes principales de l’échec du mouvement lyonnais du 28 septembre. Je regarde comme un honneur pour moi d’avoir pris part à ce mouvement, avec le digne citoyen Palix, qui est mort l’hiver dernier à la suite des souffrances qu’il a eu à endurer ; avec le brave citoyen Charvet, qui a été, depuis, assassiné lâchement par un officier ; avec les citoyens Parratton et Schettel, qui languissent encore à cette heure dans les prisons de M. Thiers. Depuis lors j’ai regardé Richard comme un lâche et un traître.


Deux jours après le 4 septembre, Eugène Dupont, correspondant du

  1. [Errata et Addenda du tome III : La lettre de Bakounine à Palix a été imprimée d’après une copie fautive. On en trouvera le texte correct au tome IV des Œuvres de Bakounine, dans l’Avant-propos du fragment intitulé Manuscrit de 114 pages.]
  2. Voici comment, dans sa lettre au Progrès de Lyon (reproduite par Oscar Testut), Richard explique la retraite des membres du Comité du Salut de la France : « Les délégués du peuple restèrent dans la salle des séances jusqu’à l’arrivée des conseillers municipaux, alors que la garde nationale en armes, succédant à la manifestation sans armes, avait entouré les abords de l’hôtel de ville. Nous expliquâmes aux conseillers municipaux le caractère et le but de la manifestation. Il n’y en eut pas un seul qui osât la blâmer... Les conseillers municipaux nous prièrent de les laisser délibérer ; l’hôtel de ville était de plus en plus entouré ; mais nous avions encore dans les cours intérieures trois ou quatre cents hommes qui s’étaient, je ne sais comment, armés et munis de cartouches, sans compter les sympathies certaines de plusieurs milliers de citoyens des bataillons de la Croix-Rousse, de la Guillotière et des Brotteaux. C’était plus qu’il n’en fallait pour conserver la position. Nous l’avons cependant évacuée, parce que nous n’avions pas pour mission de nous imposer par la violence. Bien mieux, nous nous séparâmes en bonne intelligence avec les conseillers municipaux... Sur une interpellation de Bischoff, tous les conseillers présents déclarèrent qu’aucunes poursuites ne nous seraient intentées, et que même, si l’on voulait nous en intenter, ils s’y opposeraient. On se sépara au cri unanime de Vive la République ! Guerre aux Prussiens ! »