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Dès le 4 septembre, un « Comité de salut public » s’était installé à l’hôtel de ville de Lyon et avait pris en mains le pouvoir ; complété les jours suivants par l’adjonction de nouveaux membres, il comprenait, à côté de quelques militants de l’Internationale (Beauvoir, Chol, Palix, Charvet, Placet), des républicains de la nuance Jules Favre, comme Hénon, et des radicaux comme Andrieux[1] et Barodet. Gaspard Blanc, qui avait quitté Neuchâtel le jour même de la publication de notre manifeste, le 5 septembre, pour retourner à Lyon, n’en faisait pas partie, non plus qu’Albert Richard : ce dernier avait réussi un moment, le 4 septembre, à s’y faire adjoindre, mais son nom fut rayé presque aussitôt. Le 8 septembre, dans une réunion publique, salle de la Rotonde, Richard fit la motion, qui fut adoptée, de nommer séance tenante dix commissaires pour être « les intermédiaires du peuple lyonnais auprès du Comité de salut public » ; trois de ces commissaires, savoir Richard lui-même, Andrieux et Jaclard[2], devaient se rendre en délégation à Paris auprès du gouvernement de la Défense nationale, pour s’entendre avec lui au sujet d’une levée en masse. Ils partirent le 9 au soir ; dès le lendemain, Andrieux vit Crémieux, ministre de la justice, et reçut de lui sa nomination au poste de procureur de la République à Lyon ; le 11, il vit Gambetta, ministre de l’intérieur, auquel il présenta ses deux compagnons ; et le 12 il repartit pour Lyon. Richard prolongea son séjour à Paris : il s’y aboucha avec le général Cluseret, que le Comité de salut public lyonnais voulait charger du commandement des corps de volontaires à former dans le département du Rhône, et il le ramena avec lui à Lyon le 17. Quant à Jaclard, il resta à Paris, où il fut nommé adjoint au maire du 18e arrondissement. À propos de cette mission d’Andrieux et de Richard à Paris, Lefrançais, à qui les deux Lyonnais furent présentés alors par Jaclard, raconte (Mémoires d’un révolutionnaire, p. 348) la conversation suivante qu’il eut avec celui-ci à leur sujet :

« Ah ça, me dit Jaclard, est-ce que tu prendrais ces gens-là au sérieux ?

« — Pourquoi pas ? Je les vois pour la première fois. Je ne puis savoir s’ils sont ou non sincères.

« — Mon cher, regarde celui-là qui porte de longs cheveux déjà grisonnants, bien qu’il n’ait guère, je crois, beaucoup plus de trente ans : c’est Andrieux. Eh bien, il a vu Crémieux en cachette de son copain, qui, de son côté, est allé voir sournoisement Gambetta. Andrieux a dans sa poche sa commission de procureur au parquet de Lyon.

« — Et l’autre ? Albert Richard ?

« — Ah ! voilà. Celui-là retourne bredouille. On ne lui a offert qu’une sous-préfecture. Il n’a pas jugé l’offre à la hauteur de ses mérites. Il va continuer à faire rage là-bas, mais je le crois quand même coulé ! Son collègue ne se gênera pas pour le dévoiler.

« Pauvres Lyonnais ! tout aussi volés que les Parisiens ! »

Bakounine arrivait donc dans une ville où régnait le gâchis, où les membres de l’Internationale n’avaient aucune notion claire de ce qu’il fallait faire, où les meneurs radicaux avaient la haute main, où les intrigants s’agitaient, prêts à trahir. Le gouvernement de la Défense nationale avait envoyé de Paris, comme préfet, un « républicain vigoureux », Challemel-Lacour. Le Comité de salut public, après une courte existence, fut remplacé par un Conseil municipal élu le 15 septembre, et formé en majorité de républicains bourgeois ; le médecin Hénon, ancien député, fut nommé maire de Lyon. Serait-il possible, au milieu de cette confusion d’idées, de ce choc d’intrigues, d’organiser le parti socialiste, de déterminer un soulèvement populaire ? Bakounine essaya. Dans une grande réunion publique tenue le 17 septembre à la Rotonde fut décidée la créa-

  1. On sait qu’Andrieux, sous l’empire, se donnait comme révolutionnaire : il avait proposé, dans une réunion publique, de brûler le grand-livre de la dette.
  2. Sur Jaclard, voir, au tome Ier, la note de la p. 92.