Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/424

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

presque complètement sans nouvelles de nos amis parisiens : le contact entre eux et nous ne reprit qu’en février 1871.


Dès le 4 septembre, ainsi qu’il résulte des mots écrits en marge de la p. 96 du manuscrit de la Lettre à un Français, Continuation, III (voir ci-dessus p. 82), Bakounine avait pris la résolution de partir pour Lyon. Il fixa son départ, on l’a vu, au mercredi 7, date à laquelle il substitua, le jour même, celle du vendredi 9. Il écrivit le 6 à son ami Adolphe Vogt, à Berne, un billet (en français) où il lui disait :


Mes amis les socialistes révolutionnaires de Lyon m’appellent à Lyon. Je suis résolu d’y porter mes vieux os et d’y jouer probablement ma dernière partie. Mais, comme ordinairement, je n’ai pas le sou. Peux-tu, je ne dis pas me prêter, mais me donner 500 ou 400, ou 300 ou 200 ou même 100 francs, pour mon voyage ? Si tu le peux, tu me les donneras ; si tu ne le peux pas, — naturellement tu ne me les donneras pas.

Tu m’as dit, à notre dernière entrevue, qu’en passant par Berne je pourrais m’arrêter chez toi. Je ne resterai à Berne qu’un jour. J’y arriverai le 10 au soir, et je partirai le lendemain pour Neuchâtel. Puis-je m’arrêter chez toi ? Comme je pars d’ici le 9, vendredi soir, et comme tu recevras cette lettre au moins le 8, tu auras le temps de m’avertir par télégramme à l’adresse suivante : Locarno, Signora Teresa Pedrazzini, per la signora Antonia, si oui ou non. Si non, dis à Reichel que je m’arrêterai chez lui. Adieu et au revoir[1].


Le 11 il arrivait à Neuchâtel. Notre entrevue eut lieu pendant la nuit du 11 au 12 (à cause de la surveillance policière dont j’étais l’objet) au Grand Hôtel du Lac, où il était descendu. Nous nous concertâmes au sujet de l’usage à faire du manuscrit dont il m’avait envoyé le commencement et dont il m’apportait les pages 113-125. Il me demanda d’extraire de ces feuillets, qui, écrits au jour le jour, présentaient l’incohérence d’une improvisation désordonnée et parfois redondante, une courte brochure destinée à être répandue en France. Il fut convenu qu’elle serait imprimée sans nom d’auteur, et que j’aurais plein pouvoir de tailler, de modifier, de disposer les matières dans l’ordre qui me paraîtrait le plus logique, et de supprimer ce qui ferait longueur. Il n’était pas question de se servir des premières pages envoyées à Genève dans les premiers jours d’août ; la Continuation (24 pages) expédiée à Ozerof le 27 août, et qui m’avait été transmise, fut également laissée de côté, le contenu pouvant en être considéré comme périmé. Tout ce qui passa dans la brochure fut extrait des 81 premières pages du manuscrit intitulé Continuation, III. Je restituai à Bakounine les pages 81 bis-112, qu’il emporta ainsi que les pages 113-125, parce que le contenu ne m’en paraissait pas utilisable[2]. Comme l’imprimerie était hors d’état de faire crédit, Bakounine me remit cinquante francs à valoir sur le prix de l’impression. Puis nous nous fîmes un adieu ému : savions-nous si nous nous reverrions jamais ?

Le 12 Bakounine était à Genève ; il y retrouvait deux amis, hommes sûrs et énergiques, que l’idée d’aller se battre remplissait d’aise. Ozerof et le jeune Polonais Valence Lankiewicz[3] ; avec eux il partit pour Lyon, le 14 septembre au soir[4].

  1. Nettlau, p. 498.
  2. On trouvera dans la biographie de Bakounine par Nettlau (p. 499 et pages 503-06) une analyse de ces pages 81 bis-125.
  3. C’était un typographe ; l’année suivante, il se rendit à Paris pendant la Commune, avec Ross, et y fut tué en combattant les Versaillais aux avant-postes. Oscar Testut écrit par erreur son nom Lunkiewicz.
  4. Lettre de ce jour de Bakounine à Emilio Bellerio (Nettlau, note 4031).