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bientôt la révolution du 4 septembre sous son véritable jour, arrêtèrent le mouvement ; celui-ci d’ailleurs n’aurait guère pu prendre, vu l’état des esprits en Suisse, des proportions sérieuses.

J’ouvre une parenthèse pour noter ici le départ de Neuchâtel de F. Buisson. J’avais conservé avec lui des relations amicales ; le petit journal protestant libéral qu’il dirigeait, l’Émancipation, s’imprimait à l’atelier G. Guillaume fils. À la nouvelle de la proclamation de la République, il partit sur-le-champ pour Paris, abandonnant tout pour courir où le devoir l’appelait. Il laissait à Neuchâtel sa femme et son enfant ; des amis dévoués lui avaient promis de veiller sur eux. Nous ne devions le revoir qu’après la fin du siège, en février 1871.

Je ne parlerai pas de ma situation personnelle après la saisie du Manifeste : on peut aisément deviner qu’elle était critique. Un moment je me trouvai dans une véritable détresse : le boulanger refusait le pain, le boucher refusait la viande, un créancier m’avait envoyé l’huissier, et l’imprimerie, qui n’avait plus d’ouvrage, ne pouvait me payer mon salaire arriéré. Je ne mentionne ces détails que pour pouvoir rapporter la façon dont je fus tiré d’embarras. Aucun de mes amis ne pouvait m’aider en me prêtant quelque argent ; j’avais essayé d’emprunter une petite somme à une personne riche, qui m’avait fait autrefois des offres de services, et j’avais essuyé un refus ; l’idée me vint enfin de m’adresser à un horloger du Locle, Désiré Blin, que je connaissais un peu : c’était un Français, originaire de l’Indre, qui avait dû quitter son pays après le 2 décembre, et qui, par son travail, et son économie, avait acquis une certaine aisance : je lui écrivis, sans trop croire d’ailleurs au succès de ma tentative. Blin n’hésita pas une minute : le lendemain je recevais de lui un pli renfermant trois billets de cent francs. J’ai tenu à consigner ici ce trait si honorable pour ce brave homme, envers qui j’ai conservé la reconnaissance que méritait cet acte de confiance et de solidarité.

Pourquoi faut il que je doive enregistrer d’autres actes qui sont un triste témoignage des égarements où peuvent conduire la haine et l’esprit de secte ? Au moment où nous étions en butte aux outrages et aux calomnies de la presse bourgeoise suisse, où notre organe la Solidarité avait été supprimé par un abus de la force digne du gouvernement impérial, et où, dans certaines localités, nous ne pouvions plus même tenir une réunion publique, un groupe de « coullerystes », qui prétendait parler au nom de l’Internationale de la Chaux-de-Fonds, nous attaqua et nous dénonça dans une pièce que publia la Montagne du 7 septembre ; voici les passages essentiels de ce triste document :


Protestation.

Un manifeste adressé aux Sections de l’Internationale vient de paraître ; ce manifeste est l’œuvre d’un comité occulte siégeant à Neuchâtel, et qui n’a pas qualité pour adresser un tel appel ; les hommes qui le composent ont déjà tenté plusieurs fois de nous détourner du chemin de la concorde et de la paix, pour nous jeter dans les expédients de la force. Ces hommes, travailleurs de la Chaux-de-Fonds, nous les dénonçons aujourd’hui à votre réprobation, comme nous dénonçons au peuple neuchâtelois leurs coupables desseins. Au milieu des malheurs d’une conflagration européenne,... quelques hommes, oubliant tous les devoirs du patriotisme, oubliant le grand principe de la neutralité qui nous abrite, veulent nous entraîner avec eux dans les aventures d’une guerre insensée et osent, au milieu de notre Suisse, pousser un appel aux armes... Ouvriers, que ce manifeste vous trouve insensibles : ne répondez que par le mépris aux conseils insensés qu’il contient, et n’allez pas faire le jeu et servir les ambitions des comparses Guillaume et consorts, de ces