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(18 juin), l’Égalité réduisit son format et son contenu des deux tiers, et cessa d'être hebdomadaire pour ne plus paraître que tous les quinze jours ; elle annonça, en termes ridicules, que « cette décision avait été motivée par le désir de rendre le journal de plus en plus accessible à tous les ouvriers des villes et surtout des campagnes, et de pouvoir faire le journal aux moindres frais possible : le format amoindri et les articles plus courts[1] donneront à beaucoup de lecteurs inaccoutumés encore à la lecture assidue la facilité de suivre le grand mouvement international et partant de là de grossir les rangs de nos adeptes ». Il eût fallu, pour rendre le journal « plus accessible », diminuer aussi le prix de l'abonnement : mais on n'en parla pas, et pour cause.


En France, la situation devenait de plus en plus grave. Dans les derniers jours de mai, un jugement de la 6e chambre, à Paris, suspendit la Marseillaise pour deux mois. Les membres de la Fédération parisienne résolurent alors de se créer un organe à eux ; mais comme on ne pouvait songer à trouver un imprimeur à Paris, il fallait en chercher un à l'étranger. Robin m'écrivit pour me demander si l'imprimerie G. Guillaume fils pourrait se charger de la publication du journal ; je répondis affirmativement. En conséquence, je reçus de Robin, au commencement de juin, les articles destinés au premier numéro ; et le Socialiste, « organe de la Fédération parisienne de l'Association internationale des travailleurs, paraissant le samedi », vit le jour le 11 juin[2]. Il avait été tiré à cinq ou six mille exemplaires ; il fut expédié sous bande à un certain nombre d'adresses qui m'avaient été données, et, pour le reste, en plusieurs ballots au nom de Mangold, nommé administrateur ; mais les ballots furent saisis à l'arrivée à Paris. Le mercredi 8, un certain nombre d'internationaux parisiens avaient reçu des mandats de comparution devant le juge d'instruction ; Robin, ne s'étant pas rendu à cette invitation, fut arrêté, ainsi que Langevin, le 12 ; ce ne fut donc pas lui qui m'envoya la copie du n° 2. De ce second numéro (18 juin), quelques exemplaires seulement parvinrent à destination ; les ballots furent de nouveau saisis. Il fallut reconnaître qu'il n'était pas possible de faire entrer le Socialiste en France, et le journal suspendit sa publication[3]. D'ailleurs des assignations venaient d'être lancées le 15 juin contre trente-huit socialistes parisiens, inculpés d'avoir fait partie d'une société secrète : le troisième procès de l'Internationale à Paris allait commencer le 22 juin. La commission du Socialiste m'envoya donc l'avis suivant, qui parut dans la Solidarité du 26 juin :


Avis de la Commission du Socialiste.

Le Socialiste a été saisi par la justice française. Le premier numéro est entré par la poste, le ballot envoyé par les messageries n'a pas été livré.

  1. Le rédacteur Wæhry, dont les articles avaient le plus contribué à rendre l’Égalité illisible, mourut le 10 juillet 1870. Mais il restait encore Outine.
  2. Le premier article de ce numéro reproduisait le préambule des statuts généraux de l'Internationale, dans la version nouvelle due à la collaboration de Robin et de Paul Lafargue (voir tome Ier, p. 285). Dans cette version, le troisième alinéa des considérants est ainsi rédigé :
    « Que, pour cette raison, l'émancipation économique des classes ouvrières est le grand but auquel tout mouvement politique doit être subordonné comme un simple moyen ».
    En lisant ce texte, je ne m'aperçus nullement qu'il différait, par la présence des mots comme un simple moyen, du texte dont nous nous servions habituellement, pas plus que je ne remarquai une différence du même genre en lisant, quelques semaines plus tard, la lettre écrite le 29 juin par Hermann Jung, au nom du Conseil général, au Comité fédéral de la Chaux-de-Fonds (voir pages 55-56).
  3. Sauf un petit à-compte versé plus tard par Robin, de sa poche, les frais de l'impression des deux numéros du Socialiste n'ont jamais été payés.