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du meeting fut ensuite abordé, et, après quelques paroles de Rossier, de Vevey, j'exposai le programme de l'Internationale, en le résumant ainsi : « L'Internationale demande que tous les hommes, à leur naissance, aient les mêmes moyens de développer leurs facultés ; qu'ensuite, à l'âge où ils sont devenus producteurs, ils aient tous à leur disposition les instruments de travail qui leur sont nécessaires ; et, enfin, que tous aient l'entière jouissance et la libre disposition des produits de leur travail. Pour arriver à ce résultat, l'Internationale fait la propagande par la presse et par les meetings ; elle engage les ouvriers à s'associer entre eux, à constituer des fonds de résistance, puis à fédérer leurs associations et leurs caisses ; et quand dans le monde entier cette organisation aura été comprise, l'Internationale sera devenue une force assez puissante pour réaliser son programme. » Becker fit en langue allemande un discours dont les conclusions furent que l'égalité ne pouvait être établie que par la propriété collective, et que, pour y arriver, les travailleurs devaient détruire tout pouvoir politique, juridique ou religieux. Grosselin répéta la harangue stéréotypée qu'il prononçait en de semblables occasions : « Le travailleur a d'abord été esclave, il a ensuite été serf, il est aujourd'hui prolétaire, et le salariat n'est autre chose que l'esclavage sous des roses ; les ouvriers sont obligés de revendiquer une condition d'existence meilleure : c'est ce que nous faisons en Suisse, par les moyens légaux, et pour le bien de notre patrie ; car nous somme fiers d'être Suisses, et nous respectons notre constitution et nos lois. » Nous ne voulûmes point, par esprit de conciliation, relever ce qui nous avait choqués dans le langage de Grosselin ; je me bornai, en reprenant la parole, à formuler nettement notre point de vue : « De même que les ouvriers français se sont abstenus de prendre part à la comédie du plébiscite, de même, en Suisse, nous devons faire le vide autour de nos gouvernants, refuser la lutte sur ce qu'on appelle le terrain constitutionnel, et porter toute notre activité sur l'organisation de l'Internationale ». Rossier présenta, pour résumer la discussion, une résolution disant que le meeting « reconnaissait que, pour établir l'égalité entre les hommes, il faut que chaque travailleur soit mis en possession de ses instruments de travail par la propriété collective », et qu'il recommandait « de travailler, en dehors de toute alliance avec les partis politiques quels qu'ils soient, à la création de caisses de résistance dans tous les métiers, et à leur fédération sans considération de frontières et de nationalité ». Cette résolution, qui exprimait bien nettement nos principes, fut votée à l'unanimité ; ainsi les hommes du Temple-Unique paraissaient admettre, comme nous, le collectivisme, et condamner la participation à la politique bourgeoise.

Puisque nous semblions d'accord, le rapprochement ne devait pas être impossible, et, à l'issue de la réunion publique, les conditions en furent examinées en une causerie qui (Outine n'étant pas là) resta empreinte de cordialité. La Solidarité du 14 mai exprima en ces termes l'espérance qu'avait fait naître, de notre côté, l'attitude des délégués genevois dans cette journée :


Dans une réunion particulière qui a eu lieu au local de la Section de Vevey, à la suite du meeting de dimanche passé, des explications ont été échangées entre les délégués des deux fractions de la Fédération romande qui se trouvaient présents.

Deux voies étaient ouvertes pour arriver à une conciliation.

La première était que l'un des deux groupes renonçât à son Comité fédéral et à son journal pour se rallier complètement au Comité fédéral et au journal de l'autre groupe. Mais la discussion a bien vite montré que cette idée était impraticable. Chaque groupe tient à avoir son administration à lui, son organe à lui, et pour nous, qui sommes partisans de l'autonomie dans le sens le plus large, nous trouvons ce désir très naturel et nous le respectons.