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pour la Suisse, m'écrivit dans le courant d'avril une lettre privée, dans laquelle il me demandait des détails sur ce qui s'était passé. Je transmis cette lettre au Comité fédéral ; celui-ci, estimant avec raison qu'une lettre de Jung à moi ne pouvait pas être considérée comme une réponse du Conseil général, décida d'attendre une réponse officielle, adressée directement au Comité fédéral. Cette réponse ne vint jamais.


J'ouvre une parenthèse pour mentionner une Lettre sur le mouvement révolutionnaire en Russie, datée de Genève, 8 avril 1870, que Bakounine adressa à ce moment à Liebknecht. Elle débutait ainsi :


Citoyen Liebknecht, Je commence par vous remercier pour la reproduction de mon Appel aux Jeunes Russes, et de la lettre (du 8 février) adressée par mon compatriote Netchaïef à la rédaction de la Marseillaise, dans votre estimable journal, et je vous remercie encore davantage pour votre appréciation du mouvement révolutionnaire qui se produit actuellement en Russie. Cette sympathie, venant de l'Allemagne, est un fait nouveau pour nous. Pendant bien des années, nous n'avons rencontré dans votre pays qu'antipathie et défiance. Sans parler des calomnies misérables dont on a voulu accabler les personnes représentant ce mouvement à l'étranger, calomnies sur lesquelles malheureusement j'aurai encore à revenir[1], je dois dire qu'on n'a pas attaqué seulement l'empire du tsar, mais le peuple russe lui-même.


Liebknecht publia la lettre de Bakounine, traduite en allemand (Brief über die revolutionäre Bewegung in Russland), dans le Volksstaat du 16 avril 1870[2]. À ce moment-là, il n'avait évidemment pas encore connaissance de la Confidentielle Mittheilung du 28 mars, envoyée par Marx à Kugelmann. Liebknecht dut être vertement tancé par le dictateur de Londres pour avoir inséré une lettre de l'homme que Marx venait de dénoncer au Comité de Brunswick comme un dangereux agent du panslavisme ; aussi se hâta-t-il de réparer sa faute : le 30 avril, le Volksstaat, qui avait déjà accueilli, en mars, un article « stupide et infâme » de Borkheim, publiait une correspondance dudit Borkheim où celui-ci répétait publiquement la calomnie lancée par Marx dans un document confidentiel : que Herzen s'était fait payer une somme annuelle de vingt-cinq mille francs par un Comité panslaviste, et que Bakounine avait recueilli, pécuniairement et moralement, l'héritage de Herzen.


Tout en se plaçant sur le terrain des décisions régulièrement prises, le Congrès de la majorité collectiviste avait décidé de faire un dernier effort pour éclairer la conscience de ceux qui avaient été égarés par des intrigants. Nous ne pouvions nous résigner à admettre qu'à Genève il ne se trouverait pas, dans les Sections de l'Internationale, un certain nombre d'hommes qui refuseraient de s'associer aux manœuvres d'Outine et consorts et de rompre le lien fédéral. Avant de se séparer, le Congrès vota donc l'envoi à Genève d'un délégué chargé « d'engager les Sections

  1. Ceci est une allusion à un article de Borkheim que le Volksstaat avait accueilli peu de temps auparavant, et un reproche indirect à Liebknecht. Dans une lettre à Albert Richard du 1er avril 1870, Bakounine écrit : « M. Liebknecht continue d'en agir perfidement avec moi et en général avec tous les révolutionnaires russes. Il a réimprimé, il est vrai, mon Appel aux jeunes Russes et la lettre de Netchaïef, mais en même temps, il a publié contre nous un article à la fois stupide et infâme écrit par un drôle qui s'appelle Borkheim. un petit Juif, instrument de Marx. » (Revue de Paris, 1er septembre 1896, p. 128.)
  2. La Marseillaise publia aussi cette lettre de Bakounine dans son numéro du 24 avril 1870.