Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/343

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que tous les moyens lui sont bons[1] — ceci à l’instar des jésuites[2] — pour s’en servir contre ses ennemis. Et ses ennemis, c’est vous, travailleurs, qui ne voulez pas marcher à sa remorque, et c’est nous aussi qui le démasquons.

« Eh bien ! oui, il est vrai que je suis son ennemi irréconciliable ; il a fait trop de mal à la cause révolutionnaire dans mon pays, et il cherche à en faire autant à l’Internationale. Mais quand le jour de la revendication populaire viendra, le peuple saura reconnaître ses véritables ennemis, et si jamais la guillotine fonctionne, que ces grands hommes dictateurs prennent bien garde à eux, de crainte de mériter du peuple d’être guillotinés tout les premiers[3]. »

En réponse à ce réquisitoire, je présentai quelques observations, et voici le langage que l’Égalité me prête :

« Guillaume… Je regrette que le délégué de l’Alliance n’ait pas été présent lorsque Outine a parlé des affaires russes ; je ne doute pas qu’il aurait réfuté victorieusement ce que nous a dit Outine. On sait en effet qu’il existe, en Russie, deux organisations rivales… Je dois laisser de côté tout ce qui se rapporte à la question russe, qui ne nous regarde point[4]. Je demande à Outine d’apporter ses accusations devant un jury d’honneur… Un fait analogue s’est déjà passé au Congrès de Bâle : Liebknecht a accusé

  1. Dans un article du n° 1 des Publications de la Société la Justice du Peuple, 1869 (rien dans ce numéro ni dans le n° 2 n’est de la plume de Bakounine), Netchaïef a écrit : « Nous sortons du peuple… n’ayant pas de notions sur les obligations morales ni sur une honnêteté quelconque envers ce monde que nous haïssons et dont nous n’attendons que du mal ».
  2. Dans la brochure Aux officiers de l’armée russe (janvier 1870), qui est de Bakounine et signée de son nom, l’auteur, parlant des membres du Comité révolutionnaire russe, dit : « Comme les jésuites, non dans le but de l’asservissement, mais dans celui de l’émancipation populaire, chacun d’eux a renoncé même à sa propre volonté ». Ce sont là façons de parler auxquelles les socialistes du Jura n’ont jamais souscrit. Bakounine explique ensuite ce qu’il sait du Comité et comment il a été mis en relations avec lui : « On pourrait me demander : Si le personnel composant le Comité reste un mystère impénétrable pour tout le monde, comment avez vous pu vous renseigner sur lui et vous convaincre de sa valeur réelle ? Je répondrai franchement à cette question. Je ne connais pas un seul des membres de ce Comité, ni leur nombre, ni le lieu de sa résidence. Je sais une chose, c’est qu’il ne se trouve pas à l’étranger, mais en Russie même, comme cela doit être, car un Comité révolutionnaire russe siégeant à l’étranger est une absurdité dont l’idée ne peut naître que dans la tête de ces phraseurs vides de sens et stupidement ambitieux appartenant à l’émigration, qui cachent leur désœuvrement vaniteux et méchamment intrigant sous le nom sonore de Cause du Peuple [le journal d’Outine]… Il y a un an à peu près, le Comité, croyant utile de m’avertir de son existence, m’envoya son programme accompagné de l’exposition du plan général de l’action révolutionnaire en Russie. Complètement d’accord avec l’un et l’autre, et m’étant assuré que l’entreprise aussi bien que les hommes qui en ont pris l’initiative sont véritablement sérieux, j’ai fait ce qu’à mon avis devait faire tout réfugié honnête : je me suis soumis sans condition à l’autorité du Comité, comme à l’unique représentant et directeur de la révolution en Russie. Si m’adresse aujourd’hui à vous, je ne fais qu’obéir aux ordres du Comité. Je ne puis vous en dire davantage. »
  3. Égalité du 30 avril 1870, p. 3.
  4. Les socialistes du Jura sont en effet toujours restés étrangers aux affaires russes, et en avril 1870 je ne connaissais encore aucune des publications dont j’ai cité les noms et quelques passages dans les notes précédentes à l’exception d’un article du n° 2 des Publications de la Société la Justice du Peuple, dont la traduction avait paru dans le Progrès). Tout en protestant contre les agissements de la police suisse, et en nous efforçant de soustraire à ses grilles les réfugiés qu’elle poursuivait, nous n’avions nullement entendu accepter aveuglément la solidarité de tout ce que pouvaient entreprendre, sur le terrain de la révolution russe, soit Bakounine, soit d’autres conspirateurs. Quant à la façon dont Bakounine jugea les procédés inventés et pratiqués par Netchaïef, lorsqu’il en eut constaté l’emploi par ce fanatique dangereux et qu’il en fut devenu lui-même la victime, on l’a déjà vue à propos de l’éditeur Poliakof (t. I, p. 261), et on la verra encore plus loin, lors de la rupture qui se produisit en juillet 1870.