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l’expression des opinions d’un comité élu par une assemblée populaire de socialistes.

Voici ce que nous écrit à ce sujet un de nos amis de Paris, qui fait lui-même partie de ce comité de rédaction :

« La situation actuelle de la France ne permet pas au parti socialiste de rester étranger à la politique. En ce moment, la question de la chute prochaine de l’empire prime tout le reste, et les socialistes doivent, sous peine d’abdiquer, prendre la tête du mouvement. Si nous nous étions tenus à l’écart de la politique, nous ne serions rien en France aujourd’hui, tandis que nous sommes à la veille d’être tout.

« Il faut donc qu’un journal socialiste ait, à côté de la partie réservée aux questions sociales et ouvrières, une partie spécialement politique.

« La direction de cette partie politique de la Marseillaise a été confiée à Rochefort, qui, grâce au mandat impératif qu’il a accepté franchement, est devenu le véritable porte-voix du peuple de Paris. Les rédacteurs de la partie politique devront toujours être complètement révolutionnaires, non seulement contre l’empire, mais contre toutes les institutions gouvernementales actuelles.

« Quant à la partie socialiste du journal, la plus importante, elle a pour principal rédacteur Millière, un des socialistes les plus capables que je connaisse. Les principes que nous devons nous efforcer de faire prévaloir sont ceux de la presque unanimité des délégués de l’Internationale au Congrès de Bâle, c’est-à-dire le collectivisme ou le communisme non autoritaire[1]. »

Il est nécessaire de faire ici une remarque pour éviter les équivoques que pourrait faire naître l’emploi de termes mal compris.

Le mot de communisme a été appliqué, au début du socialisme, à des doctrines utopiques et autoritaires comme celles de Thomas Morus, de Babeuf, et, de nos jours, celle de Cabet. Cependant ce mot n’emporte pas nécessairement avec lui l’idée d’autorité : on peut très bien se figurer un communisme non autoritaire. Mais ce terme

  1. Le même jour (25 décembre), Varlin avait écrit à Aubry, de Rouen, une longue lettre qui figure in-extenso dans l’acte d’accusation du troisième procès de l’Internationale à Paris (22 juin 1870), et dans laquelle on retrouve mot pour mot la fin de cette dernière phrase. « Millière, nommé directeur, — écrivait Varlin, — est en même temps et surtout chargé de la ligne socialiste du journal. Cette ligne est celle affirmée par la presque unanimité des délégués de l’Internationale au Congres de Bâle, c’est-à-dire le collectivisme, ou communisme non autoritaire. » Cette lettre contient un passage qui fait connaître les vues des militants de l’Internationale parisienne à ce moment : « Il est utile que je vous donne quelques explications sur la Marseillaise, afin que vous ne croyiez pas qu’il n’y a là qu’une machine de guerre contre l’empire… Les fondateurs se proposent non seulement de faire de la propagande, mais encore de rallier tout le parti socialiste européen, d’établir, par la voie du journal, des relations permanentes entre tous les groupes ; de préparer, en un mot, la révolution sociale européenne. Pour vous faire connaître plus complètement encore l’esprit des fondateurs, je dois vous dire que, dans nos réunions, nous avons été presque unanimes à reconnaître que nous n’étions pas prêts pour la révolution ; qu’il nous fallait encore un an, deux ans peut-être, de propagande active par le journal, les réunions publiques et privées, et l’organisation de sociétés ouvrières, pour arriver à être maîtres de la situation et être assurés que la révolution ne nous échappera pas au profit des républicains non socialistes. La partie politique du journal n’est que l’accessoire, un journal devant être varié pour être lu ; la partie sociale est la seule importante pour nous. Il faut nous appliquer à la rendre intéressante et sérieuse, afin qu’elle prenne chaque jour plus d’extension dans le journal. Pour cela nous avons besoin du concours de tous nos amis, me disait Millière dans notre entrevue de ce matin. »