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se lève tous ensemble dans un temple, pour lui adresser une prière par l'organe d'un ministre. »

Cette correspondance fut reproduite par le journal des orthodoxes, le Journal religieux de Neuchâtel, ce qui dépita Fritz Robert. Il envoya au Progrès (n° 28, 25 décembre 1869) une seconde lettre où il disait : « Nous le disons franchement, nous avons été profondément vexé de voir cette feuille protestante à la Veuillot s'emparer d'un de nos articles pour s'en faire malgré tout une arme contre les chrétiens libéraux » ; et il expliquait que « nous étions encore plus opposés aux principes du Journal religieux qu'à la nouvelle Église ». Un socialiste du Locle (ce fut Auguste Spichiger ou Charles Monnier), dans le même numéro du Progrès, fit suivre la lettre de Robert, au nom de la rédaction, du commentaire suivant :

« Nous partageons entièrement les idées exprimées par notre correspondant de la Chaux-de-Fonds, et ne voudrions pas avoir l'air de soutenir l'orthodoxie protestante contre le christianisme libéral... Nous voulons profiter de l'occasion pour dire ce que nous pensons de la nouvelle religion et de l'avenir qui lui est réservé. Si la nouvelle religion continue franchement à laisser champ libre au libre examen, elle deviendra dans peu de temps nécessairement rationaliste, et devra dès lors abdiquer le nom de chrétienne... Nous rendons toute justice au courage des hommes qui ont réussi chez nous à enlever à l'orthodoxie autoritaire son prestige, et nous procureront, bien plus tôt qu'on ne l'aurait supposé, la séparation de l'Église et de l'État, de l'Église et de l'École ; cette séparation sera toujours un acheminement vers la suppression complète de l'Église et un pas de fait dans la voie du progrès. C'est pourquoi, quoique nous jugions cette réforme tout à fait insuffisante, nous la préférons au stabilisme de l'Église existante et lui serons toujours reconnaissants des progrès qu'elle fait faire à cette question. »


Je reviens à Genève, où la question électorale se posait, en ce moment, dans toute son acuité. L'élection du Conseil d'État (pouvoir exécutif cantonal), qui se fait tous les deux ans, devait avoir lieu le dimanche 14 novembre. Le parti radical avait préparé de longue main une alliance avec les ouvriers de l'Internationale, et il comptait, avec l'appui de leurs voix, déloger du pouvoir le parti conservateur ; pour s'assurer les suffrages de l'Internationale, il avait placé sur la liste de ses sept candidats le nom du monteur de boîtes Grosselin, l'éloquent orateur des grandes assemblées ouvrières. La presse conservatrice dénonça cette alliance en termes virulents ; elle accusa les radicaux de Genève de pactiser avec les ennemis de la famille et de la propriété, avec les prédicateurs de l'anarchie ; les radicaux, évidemment gênés, répondaient que les ouvriers genevois étaient des hommes de bon sens, qui demandaient des réformes raisonnables, et que seul le parti radical, l'ami des travailleurs, pouvait les aider à les obtenir. L’Égalité, organe de l'Internationale, s'abstint de prendre part à ces polémiques, et, pendant toute la campagne électorale, ne dit pas un mot de la question brûlante qui mettait à l'envers toutes ou presque toutes les têtes genevoises. Le résultat de l'élection fut une déception pour les radicaux et pour Grosselin et ses amis : les conservateurs furent victorieux et gardèrent le pouvoir, quoique, bien certainement, tous ceux des membres de l'Internationale de Genève qui possédaient le droit de voter fussent allés — sauf Perron et deux ou trois autres — déposer dans l'urne un bulletin en faveur de la liste radicale. Comment s'était-il fait que l'Internationale, bien que groupant à Genève un nombre très considérable d'ouvriers, n'eût pas réussi, par son intervention, à assurer la victoire des radicaux ? C'est que, parmi les ouvriers du bâtiment, le plus grand nombre, étrangers, ou Suisses d'autres cantons n'ayant pas encore un temps de domicile suffisant, n'étaient pas électeurs ; en outre, dans la masse flottante du corps électoral, quelques centaines d'indécis, bourgeois et demi-bourgeois, ou bien ouvriers vaguement socialistes, que les chefs radicaux avaient