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Séparation de l'Église et de l'État.

Le Grand-Conseil du canton de Neuchâtel va s'occuper la semaine prochaine de la séparation de l'Église et de l'État ; et cette question depuis si longtemps discutée chez nous, après avoir passé par toute la filière gouvernementale, sera probablement soumise à la votation populaire dans quelques mois.

Rien de plus curieux que la manière dont les différents partis politiques, chez nous, parlent aujourd'hui de cette fameuse séparation. Il y a quelques années à peine, on s'accordait de droite et de gauche à traiter d'utopistes les rares esprits courageux qui osaient la réclamer ; bien petit était le nombre des radicaux qui l'auraient approuvée ; les socialistes étaient à peu près seuls à défendre le principe. Aujourd'hui les choses ont bien changé : les doctrinaires de l’Union libérale[1], alliés aux coullerystes, ont inscrit la séparation de l'Église et de l'État sur leur drapeau ; les radicaux, les vieux comme les jeunes, se sont laissé emporter par le courant libéral, et se posent maintenant en champions résolus d'un principe qui leur faisait tant de peur autrefois ; le Synode lui-même, organe de l'Église nationale, a déclaré publiquement, dans une proclamation aux fidèles, qu'il était résigné à la séparation ; — unanimité touchante, c'est à n'en pas croire ses yeux et ses oreilles. Les socialistes seuls, dans cette agitation, gardent une attitude indifférente. Il convient d'expliquer leur réserve.

Nous ne sommes pas des adversaires de la séparation de l'Église et de l'État, on peut bien le croire. Nous qui voulons toutes les libertés, nous saluerons avec plaisir la chute d'une institution autoritaire. Mais le programme des partis politiques, rouges, verts ou noirs, ne nous satisfait pas.

Les partis politiques veulent simplement assurer à l'Église des conditions d’existence autres que celles dans lesquelles elle se trouve aujourd'hui. Puis, quand ce changement aura été opéré, et que l'Église sera devenue indépendante, ils entendent bien la laisser vivre à sa guise, et ne plus s'inquiéter d'elle.

Quant à nous, nous ne nous en tenons pas là. Nous trouvons très bon qu'on enlève à l'Église l'appui et la garantie de l'État ; mais quand ce sera fait, il ne faut pas la laisser vivre de sa propre vie, il faut la détruire.

Quoi ! vous allez, sous prétexte de séparer l'Église de l'État, remettre entre ses mains les temples, les fonds de charité, et une fortune dont le revenu est estimé à 50 mille francs, — en sorte que, l'Église, séparée de l'État, se trouvera aussi puissante, et peut-être plus puissante qu'auparavant ? Vous, libres-penseurs, vous allez prêter les mains à une transaction qui laissera votre ennemi debout et plus formidable que jamais, et vous croyez faire une belle action ?

Et c'est au nom de la liberté et de la justice que sera accomplie cette triste chose !

Oh, la liberté et la justice, c'est bien ce que nous voulons aussi, nous autres socialistes. Mais nous voulons la liberté complète et la

  1. Organe du parti conservateur ou « vert ».