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liste[1] ; Bakounine me dit que Rey était de longue date un de ses intimes[2]. À nous trois, nous commençâmes à étudier les délégués parisiens. Il ne fallait pas songer à ceux que je connaissais déjà, Tolain, Murat, Chemalé, qui étaient anti-collectivistes. Pindy avait le tempérament révolutionnaire, mais il militait alors dans les rangs des mutuellistes ; un de mes camarades, le monteur de boîtes Floquet, délégué du Locle, se lia d'amitié avec lui, et ils se promirent de s'écrire : ce rapprochement purement individuel était tout ce qui pouvait être tenté. Mais il y avait là un homme dont les aspirations correspondaient aux nôtres, et qui était le militant le plus actif de l'Internationale parisienne : Varlin. Àgé à ce moment de trente ans, Varlin était entré dans le mouvement ouvrier dès sa première jeunesse. Il avait pris part aux réunions qui, en 1862, aboutirent à l'envoi d'une délégation ouvrière à l'Exposition de Londres ; il avait dirigé, en 1864, la grève des ouvriers relieurs de Paris ; dès la fondation de l'Internationale, il fut membre de la première Commission du bureau de Paris, où il représenta les idées communistes ; il assista comme délégué à la Conférence de Londres en 1865, au Congrès de Genève en 1866, où je l'avais vu pour la première fois ; s'il n'avait pas paru, les deux années suivantes, aux Congrès de Lausanne et de Bruxelles, c'est qu'en 1867 il fut retenu à Paris comme délégué des relieurs à l'Exposition universelle, et qu'en 1868 il était en prison. Il avait fondé, 8, rue Larrey, ce restaurant coopératif appelé la Marmite, qui fut un si puissant foyer de propagande[3]. Rey et moi nous nous chargeâmes de lui faire des ouvertures. Un des derniers jours du Congrès, nous l'emmenâmes dans la chambre qu'occupait Rey dans je ne sais plus quel hôtel, nous lui fîmes part de notre désir ; et, comme il se montra tout disposé à s'associer à l'action collective que nous lui proposions, nous lui donnâmes connaissance de notre programme : il nous dit que ces idées étaient aussi les siennes ; nous échangeâmes une fraternelle poignée de mains, et il fut convenu que Varlin et moi correspondrions le plus régulièrement possible pour nous tenir au courant de ce qui se passerait dans nos milieux respectifs.

Pendant ce temps, Bakounine cherchait des éléments qui pussent représenter nos idées dans la Suisse allemande, et il crut les rencontrer dans deux délégués qui habitaient Bâle même : l'un était un jeune professeur allemand, Janasch, Privat-Docent à l'Université de Bâle, où il faisait un cours d'économie sociale ; l'autre était un négociant bâlois, Collin. J'appris par lui que ces deux citoyens avaient accueilli ses ouvertures avec sympathie, et s'étaient déclarés prêts à travailler à la propagande et à l'organisation du socialisme révolutionnaire en Suisse et en Allemagne. Bakounine se trompait souvent sur les hommes : Janasch et Collin furent deux de ses erreurs ; ils ne collaborèrent jamais avec nous.

  1. Rey était correspondant de la Démocratie de Chassin. La Démocratie publia du Congrès de Bâle un compte-rendu dont l'Égalité n° 37, 1er octobre 1869) dit que « il est aussi près de la vérité qu'un résumé peut l'être ».
  2. Dans une lettre à Herzen écrite six semaines plus tard (28 octobre ; Correspondance, p. 294 de la traduction française), Bakounine parle de Rey en ces termes : « Comment as-tu trouvé Rey ? C'est un très bon garçon. Seulement il reste encore suspendu dans les airs entre le ciel bourgeois et la terre ouvrière ; c'est pourquoi il s'attache tant à faire des protestations libéralement satiriques contre ce ciel. » Cette appréciation montre que Bakounine n'exigeait point, de ceux qui s'unissaient à lui pour l'action commune, une stricte discipline, ni même une entière conformité de vues et de sentiments.
  3. Outre la Marmite de la rue Larrey (5e arrondissement), Varlin en fonda successivement trois autres : 40, rue des Blancs-Manteaux (4e arrondissement) ; 42, rue du Château (14e arrondissement); et, pendant le siège de Paris, 20, rue Berzélius (17e arrondissement).