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nue un vain mot, c’était une réalité. La Section, étrangère aux préoccupations et aux luttes politiques des citoyens radicaux et conservateurs de Genève, était animée d’un esprit réellement international.

Après la grande grève des ouvriers du bâtiment en 1868, grève qui se termina par un succès éclatant grâce au généreux et énergique concours — je me plais à le reconnaître — des ouvriers de la fabrique citoyens de Genève, ces derniers entrèrent en masse dans la Section centrale, et y apportèrent naturellement leur esprit bourgeois-radical, politique, genevois. Dès lors la Section centrale se partagea en deux camps, en deux partis, les mêmes qui se trouvèrent en présence dans les assemblées générales.

Les Genevois, quoique d’abord en minorité, avaient cette supériorité qu’ils étaient organisés, tandis que les ouvriers du bâtiment ne formaient qu’une masse inorganique. En outre, les ouvriers genevois avaient l’habitude de la parole, l’expérience des luttes politiques. Enfin, les ouvriers du bâtiment étaient paralysés par le sentiment de la « reconnaissance » qu’ils devaient aux ouvriers-citoyens de la fabrique de Genève pour le concours décisif que ces derniers leur avaient apporté dans leur grève.

Dans les séances de la Section centrale, — qui n’avaient lieu d’ailleurs qu’une fois par mois, — les deux partis se contrebalancèrent pendant quelque temps. Puis, à mesure que se formaient les Sections de métier, les ouvriers du bâtiment, trop pauvres pour payer une double cotisation, celle de leur Section de métier et celle de la Section centrale, se retirèrent peu à peu, et la Section centrale tendit visiblement à devenir ce qu’elle est devenue complètement aujourd’hui (1871) : la Section des métiers réunis de la fabrique, une Section exclusivement composée de citoyens genevois.

Il ne restait aux ouvriers du bâtiment, pour la propagande sérieuse des principes, et pour la connaissance mutuelle et le groupement si nécessaire des caractères et des volontés, que leurs Sections de métier. Mais celles-ci ne se réunissaient également qu’une fois par mois, et seulement pour liquider leurs comptes mensuels ou pour l’élection de leurs comités. Dans ces réunions il ne peut y avoir de place pour la discussion des principes ; et, qui pis est, peu à peu les Sections de métier s’habituèrent à borner leur rôle, leur action, au simple contrôle des dépenses, laissant tout le reste aux soins de leurs comités, qui devinrent en quelque sorte permanents et omnipotents : ce qui eut pour résultat naturel d’annihiler les Sections au profit de ces comités.

Les comités, presque toujours composés des mêmes personnes, finirent par se considérer comme autant de dictatures collectives de l’Internationale, décidant de toutes les questions, sauf celles d’argent, sans se donner même la peine d’interroger leurs Sections ; et comme ils tenaient toutes leurs séances à huis-clos, ils finirent, en se coalisant entre eux, sous l’influence dominatrice des comités de la fabrique, par former le gouvernement invisible, occulte, et à peu près irresponsable, de toute l’Internationale de Genève.

Le groupe de l’Alliance s’était proposé de combattre cet état de choses, qui devait aboutir — comme nous ne le voyons que trop maintenant — à faire de l’Internationale un instrument politique du radicalisme bourgeois à Genève. Pour arriver à ce but, le groupe de l’Alliance n’eut jamais recours à l’intrigue, comme les intrigants genevois et non genevois ont osé l’en accuser depuis. Toute son intri-