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qu'il nous donna alors étaient qu'il désirait trouver un séjour plus tranquille, où il fût à l'abri des tracasseries policières ; que sa santé réclamait un climat plus doux ; que l'état de son budget — maintenant qu'il ne pouvait plus compter, comme précédemment, sur la bourse de la princesse Obolensky — l'obligeait à transporter ses pénates dans un endroit où la vie fût à bon marché ; enfin, qu'il avait maintenant achevé à Genève, au point de vue de la propagande et de l'organisation, tout ce qu'il était en son pouvoir de faire, et qu'il considérait son rôle dans cette ville comme terminé[1]. Le 13 août, dans une séance du comité de la Section de l'Alliance, il fit connaître son intention : « Le président [Bakounine] nous annonce — dit le procès-verbal — que son départ de la localité aura lieu aussitôt après le Congrès de Bâle, et il propose pour son remplaçant comme président le citoyen Heng, et comme secrétaire le citoyen Robin[2]. Après une longue discussion, la proposition du citoyen Bakounine est acceptée, et sera annoncée dans une séance générale prochaine. » (Nettlau, p. 316.) Mais le changement projeté n'eut pas lieu immédiatement : Bakounine conserva la présidence de la Section de l'Alliance, et Heng le secrétariat, jusqu'en octobre.

La demande d'entrée dans la Fédération cantonale genevoise, présentée par la Section de l'Alliance, se heurta à l'hostilité, déjà ouvertement déclarée, des meneurs politiciens qui dominaient dans les comités : le 16 août, le Comité central des Sections de Genève, dans une séance à laquelle n'assistaient d'ailleurs qu'une douzaine de délégués sur environ soixante, refusa l'admission sollicitée. C'était au plus fort de la lutte au sujet du programme du Congrès de Bâle.

À Londres, au contraire, on paraissait avoir désarmé, et on traitait les membres de l'Alliance en amis.

La cotisation ayant été expédiée conformément à la décision du 31 juillet, Hermann Jung, secrétaire pour la Suisse auprès du Conseil général, par une lettre datée du 25 août et adressée à Heng, « secrétaire de la Section de l'Alliance de la démocratie socialiste, à Genève », accusa réception de la somme de 10 fr. 40 c. représentant la cotisation de cent quatre membres pour l'année courante ; il terminait sa lettre par ces mots :

  1. Dans une lettre à Carlo Gambuzzi, à Naples, non datée, mais qui est certainement des derniers jours d'août 1869, Bakounine dit : « Mes affaires s'arrangent fort bien. Je viens de recevoir la commande d'une traduction d'un livre de vingt feuilles, à cent cinquante francs la feuille ; en outre une correspondance politique assurée et bien payée, et de l'argent d'avance promis à la fin de septembre. Il me tarde de me retirer dans une solitude avec Antonie, ce que je ferai certainement après le Congrès de Bâle, à la fin de septembre ; car il me faudra deux semaines à peu près pour mettre en ordre toutes mes affaires publiques et privées ; après quoi, au moins un an de silencieuse, studieuse et lucrative retraite ; ce qui ne m'empêchera pas de m'occuper des affaires les plus intimes, au contraire. » (Lettre citée par Nettlau.) Le livre dont il est question n'est certainement pas Das Kapital, qui forme un volume de quarante-neuf feuilles ; ce projet de traduction est donc différent de celui dont l'exécution, comme on le verra (au chapitre XIV), fut commencée à Locarno.
  2. Paul Robin, professeur français établi à Bruxelles, venait d'être expulsé de Belgique à cause de la part qu'il avait prise à la propagande de l'Internationale (l’Égalité du 7 août reproduit un article de l'Internationale de Bruxelles relatif à cette expulsion, et annonce un meeting de protestation qui eut lieu le 2 août dans la grande salle du Cygne, Grande-Place, à Bruxelles). Robin avait quitté Bruxelles le 26 juillet, accompagné à la gare par une délégation de tous les corps de métier ; il se rendit directement à Genève, où Bakounine lui donna provisoirement l'hospitalité. On lit dans une lettre de Bakounine à Ogaref, du 5 août 1869 (Correspondance publiée par Dragomanof, page 242 de la traduction française) : « Robin est venu chez moi avec une lettre de Herzen ; il m'a beaucoup plu. Comme j'avais une chambre vide, il est descendu à la maison. Sur la demande de Herzen et parce que moi-même j'ai le désir de le faire, je l'amènerai chez toi, demain peut-être, ou après-demain. » Robin devint aussitôt membre de la Section centrale de Genève, et collaborateur de l’Égalité. La Section de l'Alliance l'admit le 14 août, le lendemain de la réunion du comité où Bakounine avait parlé de lui.