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Je lus pendant mes vacances une brochure que venait de publier le positiviste anglais Beesly, — celui qui avait présidé le meeting du 28 septembre 1864 à Saint-Martin's Hall, — et je fus frappé du profond sentiment « altruiste » dont ces pages étaient pénétrées. Il me parut qu'il y avait là pour nous une leçon à recueillir, et j'envoyai au Progrès l'article suivant, qui parut dans le n° 16 (7 août 1869) :


L'Avenir social de la classe ouvrière.

Sous ce titre, M. Edward Spencer Beesly, professeur à l'Université de Londres, a donné l'an passé une conférence devant un meeting d'ouvriers appartenant aux Trades Unions. Ce travail, publié ensuite dans la Fortnightly Review, a été réimprimé sous forme de brochure, et il serait à désirer qu'il en fût fait une traduction française. Lors même que les idées de l'auteur diffèrent des nôtres sur beaucoup de points, nous croyons qu'il serait intéressant de faire connaître à nos populations ouvrières les doctrines sociales professées en Angleterre par ce qu'on appelle l'école positiviste, c'est-à-dire par les disciples du philosophe français Auguste Comte et du philosophe anglais Stuart Mill.

... M. Spencer Beesly croit que la séparation de la société en deux classes, les capitalistes et les salariés, n'est pas un simple accident qui puisse se corriger, mais que c'est une nécessité naturelle et la condition même du travail.... Aussi les Trades Unions, dit-il, n'ont pas la prétention de supprimer la classe des capitalistes ni de la déposséder ; elles veulent simplement agir sur cette classe, et l'obliger à se servir de son pouvoir et de ses capitaux dans l'intérêt de la société. [Suit l'exposé des concessions à demander aux capitalistes.]... M. Spencer Beesly compte surtout, pour l'organisation de cet ordre de choses, sur l'influence de la religion. Mais il ne faut pas se méprendre sur le sens de ce mot ; religion, dans la bouche d'un positiviste, signifie simplement loi morale. En effet, M. Spencer Beesly ne croit pas en Dieu, et n'admet pas l'immortalité de l'âme ; mais, comme Auguste Comte, il adore l’Humanité, et il croit fermement qu'une religion de l'Humanité, n'ayant d'autre culte que la pratique des devoirs de l'homme, est destinée à remplacer dans l'avenir la religion de Dieu.

Nous l'avons dit, ces idées ne sont pas les nôtres. Mais il y a cependant entre les positivistes et nous un point commun, et justement le plus important de tous : nous regardons l'individualisme comme une doctrine funeste et immorale, et c'est dans le travail collectif et dans la solidarité de tous que nous voyons le salut de l'humanité.

Nous nous associons du reste pleinement aux paroles éloquentes par lesquelles M. Spencer Beesly termine sa conférence :

« Ceux qui se plaignent si amèrement de la lenteur de notre marche vers un état social meilleur, feraient bien de se demander quelquefois si leur propre conduite ne contribue pas à en retarder la réalisation. L'esprit d'égoïsme et de personnalité nous suit même quand nous travaillons pour les autres, et prend la forme de vanité et d'ambition. Nous avons tous eu fréquemment l'occasion d'observer