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Genève persistaient à m’infliger des pensums, en me faisant écrire sur une question que je trouvais dépourvue d’intérêt : peut-être s’imaginaient-ils qu’à force de m’appliquer, j’arriverais à m’échauffer et à traiter ce sujet avec la passion qu’ils y mettaient et qui me restait étrangère.


Le mercredi 17 juin eut lieu à la Ricamarie, près de Saint-Étienne, un événement qui vint accroître la surexcitation des esprits. Les mineurs de Saint-Étienne, Rive-de-Gier et Firminy étaient en grève depuis le 11 juin ; dès le lendemain les puits furent occupés militairement, ce qui devait forcément amener une collision sanglante. Le 17, le poste de surveillance du puits de l’Ondaine avait fait, à la suite d’une charge à coups de crosse, une cinquantaine de prisonniers, qu’un détachement de cent cinquante hommes reçut l’ordre d’emmener à Saint-Étienne. Vers les hauteurs du Montcel une foule survint, qui réclama la mise en liberté des prisonniers ; des pierres furent lancées, et la troupe fit trois décharges successives : résultat, une quinzaine de morts, dont deux femmes et un enfant, et un grand nombre de blessés.

La situation générale de l’Europe avait créé, chez les ouvriers de la Suisse française, comme chez ceux de la Belgique, de la France, de l’Espagne, un état d’esprit particulier. On s’attendait, pour un avenir très rapproché, à de graves événements ; et, afin de n’être pas pris au dépourvu, on s’organisait, on cherchait à se concerter ; des groupes d’action s’étaient formés, je l’ai déjà dit, non pas selon la tradition des anciennes sociétés secrètes, mais sur la base de la libre entente. On se répétait, dans les Sections de l’Internationale, tant à Genève que dans le Jura, qu’il fallait se mettre en mesure d’opposer la force à la force. Voici, comme indice de ces préoccupations, un entrefilet significatif de l’Égalité (12 juin) :


Une des conséquences de la transformation des armes à feu a été de désarmer le peuple, puisqu’on ne peut se servir des fusils transformés que lorsqu’on a les munitions spéciales, et que ces munitions spéciales sont toutes aux mains de l’autorité.

Peut-être conviendrait-il, dès à présent, d’exiger que de même que tout citoyen a un fusil chez lui, il ait aussi les moyens de s’en servir.

Il est pénible d’être obligé de parler de ces choses-là, lorsqu’on déteste la guerre ; mais puisque nos adversaires paraissent décidés à ne vouloir nous répondre que par les arguments des barbares, nous sommes bien obligés de parler la langue des barbares.


Trois mois plus tard (4 septembre), l’Égalité publiait, sous le titre de Symptôme, une lettre qu’un milicien genevois lui adressait, le 26 août, « du cantonnement du Plan-les-Ouates », et dans laquelle on lisait :


L’ennemi est dans la place, hélas oui !

Voyez plutôt : moi, milicien du 125e bataillon, j’ai vu de mes yeux l’Internationale représentée au Conseil de réforme par un capitaine ; un peu après, voici venir le drapeau : mais, ô scandale ! le porte-drapeau et presque tous les sergents qui l’entourent sont internationaux…

Il nous a pris la fantaisie de nous compter, dans ma compagnie (la 3e), et voici le résultat : sur cent hommes, il y a cinquante et un internationaux, parmi lesquels quatre sergents et plusieurs caporaux. Il est à présumer qu’il en est de même dans les autres compagnies.

Tout cela est d’un bon augure…


Déjà pendant la grève de Bâle, au commencement de 1869, à un moment où le bruit avait couru que le gouvernement bâlois allait mettre de la troupe sur pied, les internationaux de Genève avaient formé le projet de