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jeudi au samedi que notre résolution fut arrêtée, et que j’écrivis l’article qui devait paraître en tête du 6e numéro du Progrès. Cet article fut communiqué en épreuve à mes amis le samedi soir et approuvé par eux. Le journal ne devait être mis sous presse que le lundi matin.

Nous n’avions nullement l’intention de tirer un pétard pour effrayer la bourgeoisie. Nous voulions simplement exprimer notre aversion pour le bavardage patriotique des orateurs qui répétaient, à chaque anniversaire du 1er mars, le même discours stéréotypé ; nous voulions marquer en même temps notre résolution de marcher de l’avant, en nous séparant du « bataillon des satisfaits », mais en acceptant le concours de ceux des hommes de 1848 qui, sentant que la révolution bourgeoise n’avait pas réalisé l’émancipation du travail et l’avènement de la justice, voudraient s’unir à nous pour préparer une révolution nouvelle. Il s’agissait si peu d’une « manifestation », que, notre abstention une fois décidée, j’avais compté aller passer les journées du dimanche 28 février et du lundi 1er mars à Morges ; je n’en fus empêché que par l’état de ma santé : j’avais attrapé un gros rhume le mercredi 24, et j’étais encore souffrant le samedi.

Le no 6 du Progrès, portant la date du 1er mars, contenait, outre mon article sur la fête, le compte-rendu de la soirée du 21 février, la première lettre que nous adressait Bakounine, et un article, extrait de la Liberté de Genève, intitulé « Radicaux, libéraux, et socialistes ». Voici les deux premiers de ces articles :


La Fête du 1er Mars.
Ouvriers !

Devez-vous vous joindre à la bourgeoisie pour célébrer l’anniversaire de la république neuchâteloise ?

Non.

La fête du 1er mars est une fête nationale et bourgeoise : elle ne vous regarde pas.

On vous parle des gloires de la patrie. Le travail n’a pas de patrie.

La république, il est vrai, a donné aux citoyens l’égalité politique et civile, la liberté de la presse et la liberté des cultes. Mais quels fruits avez-vous retiré de toutes ces belles choses ?

Ceux-là seuls qui possèdent sont libres. La bourgeoisie seule, la classe qui vit du travail des ouvriers, a profité des conquêtes de 1848. Pour vous, travailleurs, votre situation n’a pas changé : aucune réforme économique n’est venue modifier, d’après des lois plus justes, les rapports du capital et du travail ; vous êtes restés les déshérités de la société ; et chez nous comme partout, la pauvreté c’est l’esclavage !

Parmi les hommes qui, au 1er mars 1848, ont proclamé la république neuchâteloise, il en est qui ont compris l’insuffisance des institutions politiques telles que notre pays les possède. Ceux-là ne sont pas en adoration perpétuelle devant l’œuvre de leurs jeunes années ; ils sentent, au contraire, qu’ils n’ont fait qu’une œuvre manquée, et que tout est à recommencer. Ceux-là ne fêtent plus la vieille révolution : ils travaillent avec nous à en préparer une nouvelle.

D’autres, et c’est le plus grand nombre, forment aujourd’hui le bataillon des satisfaits, des heureux, des puissants du jour. La république leur a donné tout ce qu’ils ambitionnaient : ils nous gouvernent ; leur domination bourgeoise a remplacé celle des patriciens de Neuchâtel. Ils trouvent que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Ils se fâchent contre quiconque leur parle de chan-