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vérité et du progrès. Les erreurs partielles, les faiblesses de détail, se corrigent d'elles-mêmes à mesure que l'idée se dégage et s'épure ; c'est le temps qui introduit dans la marche de l'humanité cette logique que les esprits absolus voudraient lui imposer prématurément.

À la fin du siècle passé, par exemple, l'idée démocratique était représentée par Rousseau, Robespierre et les jacobins. Certes, personne plus que nous ne convient de ce que le jacobinisme a eu d'étroit et d'incomplet ; mais nous pensons qu'il serait injuste de le condamner parce qu'il n'avait pu encore s'élever à des conceptions comme celles du socialisme moderne. Le jacobinisme a eu sa raison d'être : il représente une étape nécessaire du progrès social, et on ne pouvait pas ne pas passer par lui.

Il en est de même du christianisme libéral. Nous ne l'envisageons pas comme l'idéal religieux définitif, ce serait méconnaître la loi du progrès : nous le regardons comme une forme transitoire, au sein de laquelle s'élaborera une philosophie positive accessible, non plus seulement à quelques esprits favorisés, mais à la raison de tous.

Qu'importent, du reste, les objections que peuvent faire un orthodoxe ou un philosophe à un mouvement qui se produit d'une manière fatale. Le christianisme libéral est un fait, et tous les raisonnements de M. Comtesse ne l'empêcheront pas d'exister.

Nous avions l'autre jour, avec une personne qui pense être très orthodoxe, la conversation suivante :

« Croyez vous, lui demandions-nous, qu'on ne puisse avoir de la morale qu'à la condition de professer les mêmes croyances que vous ?

— Oh non, je ne crois pas cela.

— Vous pensez donc qu'on peut être honnête homme dans toutes les religions ?

— Oui.

— Et même sans aucune religion ?

— Oui, j'en ai vu des exemples.

— Croyez-vous qu'un homme qui aura conformé sa vie aux lois de la morale pourra être damné par Dieu parce qu'il n'était pas chrétien ?

— Non, je ne pense pas que Dieu puisse punir ceux qui auront fait le bien.

— Dans ce cas, vous ne croyez pas que la foi en Jésus-Christ soit nécessaire pour être sauvé ?

— Non, d'après ce que je vous ai répondu ; je ne le crois pas.

— Mais, monsieur, si c'est là votre opinion, nous sommes d'accord, et vous êtes un protestant libéral tout comme moi[1]. »

En effet, tout est là. Celui qui ne croit pas la foi en Jésus-Christ indispensable au salut n'est plus un orthodoxe.

Or, nous sommes certain que les trois quarts des personnes qui fréquentent l'église répondraient aux questions qui précèdent de la même manière que notre orthodoxe, — à la condition toutefois que

  1. Cette conversation n'était pas imaginaire : je l'avais eue à Morges, le dimanche 7 février, avec ma future belle-mère. Pour la publier, je crus devoir me donner un interlocuteur appartenant au sexe masculin.