Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’agissait plus d’une simple protestation à laquelle pourraient s’associer tous les partisans du libre examen ; on voulait maintenant travailler à la constitution d’une « Église libérale », dont le programme fut exposé par un Comité d’initiative dans un Manifeste du christianisme libéral, portant la date du 3 février, et qui parut le 8 ou le 9 février[1]. Les auteurs de ce Manifeste demandaient que, dans le plus bref délai possible, toutes les Églises fussent séparées de l’État, et ils proposaient la constitution d’une Église libérale, « gardant la substance morale du christianisme, sans dogmes obligatoires, sans miracles, sans livre infaillible, et sans autorité sacerdotale ». Ils avaient fait effort pour se montrer aussi larges que possible, et ils faisaient appel aux athées comme aux théistes : « S’il se trouvait, disaient-ils, des hommes qui prétendissent être athées et qui néanmoins prissent comme les autres le sérieux engagement de participer de toutes leurs forces à cet effort moral que supposent les mots culte du bien et amour de l’humanité, l’Église libérale devrait les recevoir au même rang que tous leurs frères, non comme athées, mais comme hommes ».

Naturellement, l’Église orthodoxe, menacée, se défendait. Après la réplique du pasteur Godet, on avait entendu, à Neuchâtel, le pasteur Robert-Tissot (26 décembre)[2], le professeur Félix Bovet (12 janvier)[3], le pédagogue Jules Paroz (18 janvier)[4] ; à Cernier le pasteur Alexandre Perrochet (9 février)[5] ; et bientôt le professeur Frédéric de Rougemont, le plus célèbre des controversistes protestants de la Suisse française, allait diriger contre le Manifeste du christianisme libéral les traits laborieusement aiguisés de son ironie[6]. Au Locle, ce fut le pasteur Comtesse qui se chargea de réfuter à la fois la Profession de foi du protestantisme libéral et le Manifeste du christianisme libéral, dans une conférence faite au temple le jeudi  11 février[7]. J’allai l’entendre, et le lendemain je notais en ces termes mes impressions :

Hier soir j’ai assisté à une conférence du pasteur Comtesse. C’est un jeune homme, qui n’a pas plus d’une trentaine d’années, et c’est celui de nos trois ministres qui a le plus de talent. M. Verdan est plus large et plus homme du monde ; mais M. Comtesse manie la parole d’une façon vraiment supérieure. Il a critiqué le christianisme libéral de M. Buisson avec beaucoup de logique ; et, chose singulière, il lui a fait, au nom de l’orthodoxie, les mêmes objections que je lui ai faites au nom de la science. Mais quand il a passé à la partie affirmative de son sujet, et qu’il a voulu défendre sa religion à lui, il a été vraiment très faible, plus faible que M. Godet. Tu verras dans le prochain numéro du Progrès un article de moi sur cette conférence. (Lettre du 12 février 1869.)

Bakounine m’écrivit pour la quatrième fois le samedi 13 février. Voici sa lettre :

  1. Manifeste du christianisme libéral, Neuchâtel, imprimerie G. Guillaume fils, 1869. in-8o de 10 pages.
  2. E. Robert-Tissot, La Bible, Neuchâtel. Samuel Delachaux, in-16 de 56 pages.
  3. Félix Bovet, Examen d’une brochure de M. F. Buisson, Neuchâtel, Samuel Delachaux, in-16 de 44 pages.
  4. Jules Paroz, La Bible en éducation, Neuchâtel, Samuel Delachaux, in-16 de 6 pages.
  5. A. Perrochet, Le christianisme libéral et le christianisme de l’Évangile, Neuchâtel, Samuel Delachaux, in-16 de 46 pages.
  6. Sagesse ou Folie, dialogues neuchâtelois sur le Manifeste du christianisme libéral, par Frédéric de Rougemont, Neuchâtel, Samuel Delachaux, in-16 de 80 pages.
  7. Paul Comtesse, La religion de Dieu et la religion de l’homme, Neuchâtel, Samuel Delachaux, in 16 de 56 pages.