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que cette fête, ce triomphe de l’œuvre que nous avons fondée il y a deux ans avec tant de peine. » On voulut que je racontasse notre petite fête dans l’Égalité dont les deux premiers numéros venaient de paraître (23 et 30 janvier[1]) ; et j’adressai en conséquence à l’organe officiel de la Fédération romande une lettre qu’il publia dans son numéro 4 (13 février).

Le lundi soir, dans une réunion d’amis, nous réglâmes les détails de la réception qui serait faite à F. Buisson le vendredi suivant ; il fut décidé que le conférencier parlerait, comme la première fois, dans les salons du Cercle de l’Union républicaine.

Le lendemain mardi 2 février parut le n°4 du Progrès. David Perret, qui se trouvait au Locle pour affaires concernant une de ses inventions[2], vint m’aider le soir à faire l’expédition des numéros que j’adressais au dehors.

Le premier article de ce numéro était intitulé : La nouvelle conférence de M. Buisson ; j’y publiais par avance une page éloquente où l’orateur opposait « aux ancêtres illustres que le protestantisme orthodoxe cite avec orgueil, les ancêtres non moins illustres dont s’honore le protestantisme libéral ». Il disait aux orthodoxes :

Apprenez, messieurs, si vous l’ignorez, que nous aussi nous avons nos aïeux qui sont contemporains des vôtres. Les vôtres, quand vous en évoquez le souvenir, vous les trouvez au seizième siècle dans les chaires, dans les consistoires, dans les conseils publics de Genève, par exemple, puisqu’il s’agit de la Suisse ; les nôtres, nous les trouvons dans les prisons, dans les cachots, dans les tortures et sur les bûchers où les envoyaient les Farel, les Bullinger et les Calvin. Savez-vous de quel jour date la séparation du protestantisme orthodoxe et du protestantisme libéral ? Ils se séparent au pied du bûcher de Michel Servet.

… Calvin a vaincu, c’est vrai. Il a eu les bourreaux pour lui. Nous avons pour nous ses victimes.

Nos ancêtres, ce sont ces vaincus du seizième siècle ; ce sont un Michel Servet…, un Castellion…, un Gruet, qui, pour avoir protesté devant l’État et devant l’Église contre l’autorité dogmatique de Calvin, a la tête tranchée ; un Valentin Gentilis, exécuté pour hérésie… ; nos ancêtres, ce sont les anti-trinitaires, les sociniens, les libertins de Genève, les remontrants et les mennonites de Hollande, les dissidents suisses, qui ont nié les premiers le droit de punir l’hérésie, et tous ces obscurs hérétiques du seizième siècle contre qui sévirent aussi impitoyablement l’orthodoxie catholique et l’orthodoxie protestante.

Les voilà, nos pauvres ancêtres, et nous ne rougissons pas plus de leurs hérésies que de leur martyre.

Après cet article venait, sans signature naturellement, la lettre de mon père, du 28 janvier, reproduite plus haut ; un entrefilet sur la seconde conférence de Félix Pécaut ; et la suite de mon étude sur l’impôt : elle était consacrée à la démonstration de cette thèse, que « le consommateur qui ne produit rien ne paie en réalité rien au fisc ; le producteur, quel que soit le chiffre de sa consommation, est le seul contribuable ; l’impôt ne grève

  1. L’apparition du premier numéro avait été retardée jusqu’au 23 janvier, par suite de la lenteur qu’avaient mise certaines Sections à répondre à un questionnaire qui leur avait été adressé.
  2. Une machine à mettre le vin en bouteilles, application du vase de Mariette transformé par l’introduction d’un siphon qui y crée un niveau artificiel.