Page:James Guillaume - L'Internationale, I et II.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

4 au soir, je ne m'y rendis pas, occupé que j'étais ce jour-là dans un comité de l'Internationale, et n'ayant aucune velléité de recommencer, en faveur du referendum municipal, une campagne qui ne pouvait aboutir. Je pensais qu'un certain nombre de radicaux, « tous ceux qui avaient à cœur la cause du peuple », désabusés comme nous, reconnaîtraient également qu'ils faisaient fausse route, et se rallieraient à l'Internationale.

Ce qui me confirmait dans cet espoir, c'était l'attitude prise à mon égard par quelques-uns des chefs du parti. Eugène Borel, conseiller d'État[1], venait de m'écrire, en sa qualité de président de la section de Neuchâtel de la Société d'utilité publique, pour m'inviter à faire une conférence à Neuchâtel, en me laissant le choix du sujet qu'il me conviendrait de traiter. Le Dr Ad. Hirsch, directeur de l'Observatoire de Neuchâtel, avec qui j'étais brouillé depuis les polémiques du Diogène et du Premier Mars, m'écrivit de son côté, le 8 janvier, une lettre pressante, pour « m'offrir une main de réconciliation » ; il fallait, disait-il, oublier le passé pour lutter ensemble contre l'ennemi commun. Cet ennemi commun dont me parlait Hirsch, c'était le clergé : la campagne commencée par F. Buisson agitait au plus haut point les esprits, et les membres de l'Internationale, au Locle, à la Chaux-de-Fonds et au Val de Saint-Imier, s'y associaient avec ardeur. La conférence de Buisson sur l'enseignement de l'histoire sainte venait de paraître à Neuchâtel, à l'imprimerie de mon frère[2], et l'édition fut enlevée en quelques jours.

Le petit groupe qui avait lancé le Progrès avait décidé, après mon retour du Congrès de Genève, de publier un nouveau numéro de ce journal. Je m'occupai, dans les derniers jours de la semaine, de rédiger les articles destinés à ce numéro ; cette fois encore, je ne trouvai pas de collaborateurs : j'écrivis un article sur l'École et l'Église, et le commencement d'une étude sur l'impôt, d'après la Théorie de Proudhon. Le Progrès devait paraître le mardi 12 janvier.

Un de mes camarades d'études, un peu plus jeune que moi, David Perret[3], qui habitait Neuchâtel, avait parlé à M. Charles Kopp, professeur de chimie à l'Académie de Neuchâtel, de notre groupe socialiste du Locle, de façon à lui inspirer le désir de le connaître. M. Kopp, qui sympathisait avec les aspirations socialistes, et qui, sans se rattacher à aucune école, avait ses idées personnelles sur ce sujet, m'offrit spontanément de venir faire aux ouvriers du Locle une conférence sur les rapports du socialisme et de la science. Naturellement, nous acceptâmes ; et il fut entendu que la conférence aurait lieu, non pas, comme celle de Buisson, au cercle fréquenté par la bourgeoisie radicale (le Cercle de l'Union républicaine), mais au cercle des ouvriers socialistes, notre modeste Cercle international.

Le samedi 9, j'allai, muni de la lettre de Hirsch, rendre visite à William Dubois, le vieux phalanstérien, au Château des Monts[4]. Nous parlâmes de la situation, de la lutte contre l'Église, du numéro du Progrès qui était sous presse, de la prochaine conférence du professeur Kopp. Réussirions-nous à attirer dans l'auditoire du conférencier l'élément féminin, que nous désirions tout particulièrement intéresser à notre propagande socialiste ? Mme  Dubois, femme universellement aimée et respectée dans le parti républicain, et qui avait été une des plus enthousiastes parmi les disciples de Considérant, me promit qu'elle viendrait : c'était un grand point de gagné, car son exemple devait engager bien des indécises à l'imiter.

  1. Plus tard membre du Conseil fédéral suisse, puis directeur du Bureau international des postes, à Berne.
  2. Une réforme urgente dans l'instruction primaire, Neuchâtel, 1869, in-8o de 66 pages, imprimerie G. Guillaume fils.
  3. Nous avions passe une année ensemble à Zurich, lui au Polytechnikum, moi à l'Université. Ses trois années de Polytechnikum terminées en 1866, il vivait chez son père, propriétaire d’une grande fabrique d'horlogerie à Neuchâtel, et s'occupait de diverses inventions mécaniques.
  4. Voir p. 90.