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elle ferait double emploi avec celle-ci ; si elle se proposait un but différent, elle serait une rivale et peut-être une ennemie. Marx écrivit à ce sujet au jeune socialiste russe Alexandre Serno-Solovievitch[1], à Genève, en relevant l'expression incorrecte d’égalisation des classes qui figurait dans le programme de l'Alliance. Serno communiqua la lettre de Marx à Bakounine ; et celui-ci, aussitôt, adressa à Marx la lettre suivante (en français)[2] :


Genève, 22 décembre 1868.

Mon vieil ami, Serno m'a fait part de cette partie de ta lettre qui me regardait. Tu lui demandes si je continue à être ton ami. Oui, plus que jamais, cher Marx, parce que mieux que jamais je suis arrivé à comprendre combien tu avais raison en suivant et en nous invitant tous à marcher sur la grande route de la révolution économique, et en dénigrant (?) ceux d'entre nous qui allaient se perdre dans les sentiers des entreprises soit nationales, soit exclusivement politiques. Je fais maintenant ce que tu as commencé à faire, toi, il y a plus de vingt ans. Depuis les adieux solennels et publics que j'ai adressés aux bourgeois du Congrès de Berne, je ne connais plus d'autre société, d'autre milieu que le monde des travailleurs. Ma patrie maintenant, c'est l'Internationale, dont tu es l'un des principaux fondateurs. Tu vois donc, cher ami, que je suis ton disciple, et je suis fier de l'être. Voilà tout ce qui était nécessaire pour t'expliquer mes rapports et mes sentiments personnels.


[Bakounine s'explique ensuite au sujet de l'expression égalisation des classes et des individus : il annonce l'envoi des discours qu'il a prononcés à Berne, et parle de sa séparation d'avec Herzen, qui date de 1863[3]. Puis il continue ainsi :]


Je t'envoie aussi le programme de l'Alliance que nous avons fondée avec Becker et beaucoup d'amis italiens, polonais et français. Sur ce sujet nous aurons beaucoup à nous dire. Je t'enverrai bientôt la copie d'une grande lettre que j'écris là-dessus à l'ami César De Paepe...

Salue de ma part Engels, s'il n'est pas mort une seconde fois — tu sais qu'on l'avait une fois enterré. Je te prie de lui donner un exemplaire de mes discours, aussi bien qu'à MM. Eccarius et Jung.

Ton dévoué,            

M. Bakounine.

Rappelle-moi, je te prie, au souvenir de Mme Marx.


Le jour même où Bakounine écrivait cette lettre, le Conseil général de Londres prenait la décision de refuser la demande que lui avait adressée le Bureau central de l'Alliance, par une résolution conçue en ces termes :


Considérant que la présence d'un deuxième corps international fonctionnant au dedans et en dehors de l'Association internationale des travailleurs serait le moyen le plus infaillible de la désorganiser ;

Que tout autre groupe d'individus résidant dans une localité quel-

  1. Alexandre Serno-Solovievitch, ami et disciple de Tchernychevskvy. s'était réfugié en Occident en 1863. Entré dans l'Internationale, il prit une part active aux luttes que l'Association eut à soutenir à Genève, en particulier à la grande grève du printemps de 1868. Il mourut en août 1869.
  2. Cette lettre ne m'est connue que par sa publication dans la Neue Zeit, de Berlin, numéro du 6 octobre 1900.
  3. Bakounine avait pris une part active à l'insurrection polonaise de 1863, ce qui l'amena à se séparer politiquement de Herzen.