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sont demandé si le gouvernement avait voulu mystifier le public. Et ils ont fini par comprendre que c’était le gouvernement lui-même qui avait donné, sans sourciller, dans la plus colossale mystification.

Alors ç’a été partout un immense éclat de rire. Selon l’expression de l’Intelligenzblatt, « on s’était payé la tête du gouvernement (die Riegierang hatte sich einen Bären aufbinden lassen) ». Sans avoir eu besoin de se déranger, rien qu’en laissant agir la sottise de leurs ennemis, les anarchistes se trouvaient avoir pris la plus divertissante de toutes les revanches.

Il n’y a qu’une ombre au tableau : c’est que cette bouffonnerie gouvernementale a coûté quelques milliers de francs, et que c’est le peuple qui paiera la carte.


On écrivit de Berne au Bulletin, en date du 19 mars :

« Vous connaissez déjà le texte officiel des arrêtés pris par le gouvernement à l’occasion du 18 mars. Voici d’autres renseignements non officiels, mais qui n’en sont pas moins authentiques. On avait ordonné de préparer à l’hôpital de l’Île des lits pour les morts et les blessés : les uns disent quinze, les autres trente. Quand le gouvernement a décidé de mettre sur pied un bataillon, il avait d’abord fait choix du bataillon d’élite no 16 ; mais sur l’observation qui lui fut faite par un officier, que dans ce bataillon il y avait beaucoup de socialistes, il choisit de préférence le 28e bataillon de landwehr, composé de petits boutiquiers et de bourgeois.

« À la lecture des affiches du gouvernement, grande consternation dans la ville de Berne. On répétait partout : « Les communards arrivent, on va brûler Berne ! »

« Le dimanche matin, partout des soldats, des détachements de gendarmerie et de police municipale. Le bataillon de landwehr mis sur pied s’est rendu à la caserne accompagné d’une foule énorme. À partir de dix heures, toute cette foule stationnait devant la gare, attendant le train par lequel, disait-on, devaient arriver les communards. Dans l’après-midi, il n’y avait pas moyen de pénétrer dans la gare ; les pauvres voyageurs étaient bien gênés, la foule et la police leur livraient à peine passage.

« Un détail comique. Un individu, arrivé par l’un des trains, portait sous le bras un rouleau de toile. Aussitôt la foule l’entoure, on court après lui : « C’est le drapeau rouge ! » La police arrête le malheureux voyageur, et le contraint à ouvrir son paquet : c’étaient des effets et du linge.

« Durant toute la nuit du dimanche au lundi, de fortes patrouilles ont fait le service de sûreté dans les rues.

« Beaucoup de familles, dans leur frayeur, avaient quitté la ville. Un sergent de landwehr, en quittant son domicile pour se rendre à la caserne, avait cloué sa porte en prévision du pillage.

» Le dimanche à deux heures, L’Arbeiterbund a tenu une réunion au Biergarten, rue d’Aarberg. Il y avait beaucoup de monde, des bourgeois en grand nombre y étaient allés par curiosité. Les orateurs de l’Arbeiterbund ont parlé de la Commune de Paris, de sa signification, et ont blâmé l’acte du gouvernement bernois. Il a été fait une proposition d’organiser séance tenante un cortège avec le drapeau rouge ; mais la proposition a été repoussée, afin, a-t-on dit, de ne pas donner raison au gouvernement. La séance s’est terminée sans incident.

« Le dimanche soir, à huit heures, la section de l’Internationale s’est réunie. Outre les membres de la section, un certain nombre d’invités étaient présents. Des discours ont été prononcés, rappelant le souvenir de la Commune. Quelques-uns des invités ont pris la parole pour exprimer leur indignation contre le gouvernement, en ajoutant qu’ils partageaient complètement les principes professés par les membres de l’Internationale, et qu’ils ne différaient avec eux que sur le choix des moyens. La soirée se termina par un banquet.