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malgré l’opposition de quelques orateurs officiels du socialisme bureaucratique, dont l’un dit qu’il fallait aller « doucement et lentement » (mir immer piano, nur immer langsam) et ne pas écouter ces « anarchistes » qui cherchaient à jeter le trouble dans les esprits, la proposition de Werner obtint l’approbation d’un tiers de l’assemblée. — À Munich, la lutte était engagée entre les autoritaires et les anarchistes depuis l’été de 1877, et une correspondance publiée dans le Bulletin du 4 février 1878 donne des détails sur les débats qui eurent lieu dans plusieurs réunions, et sur les progrès faits par les idées anti-autoritaires. « Parce qu’un des nôtres, écrivait le correspondant, avait dit que le système de la centralisation et de l’autorité ne permet pas aux ouvriers de discuter et de se former une opinion propre, on prétendit que nous insultions les ouvriers et que nous les tenions pour des imbéciles... Ce ne sont encore là que des combats d’avant-garde ; mais avec la nouvelle année nous commencerons une propagande régulière ; nous gagnons toujours plus de terrain. »


Le Congrès ouvrier qui devait se réunir à Lyon s’ouvrit le 28 janvier. Les opinions qui y furent émises formaient une bigarrure assez singulière, et plutôt attristante : opportunisme, démocratie sentimentale, positivisme, mutuellisme, anti-socialisme, toutes ces nuances furent représentées : il y eut même un ou deux orateurs collectivistes, mais ils furent peu écoutés. La majorité repoussa un amendement qui invitait les associations ouvrières « à étudier les moyens pratiques pour mettre en application le principe de la propriété collective du sol et des instruments de travail » ; elle vota en faveur des candidatures ouvrières, chaleureusement recommandées par le délégué Chabert, de Paris, et combattues par le délégué Ballivet, de Lyon (celui-ci était membre de la Fédération française de l’Internationale). L’Avant-Garde apprécia le Congrès en ces termes : « Nous le reconnaissons volontiers, le Congrès de Lyon, pris en lui-même..., est carrément réactionnaire. Mais étudié à la place qu’il occupe, comme second pas dans le réveil qui se produit au sein du prolétariat français, il mérite quelque indulgence. On peut espérer qu’il contient en germe, virtuellement, un parti véritablement socialiste que l’avenir verra se développer. »


Un autre Congrès, celui du Parti socialiste portugais, se tint à Porto du 1er au 4 février. Le programme en fut envoyé au Comité fédéral jurassien par une lettre officielle du Conseil central du Parti, signée Alfredo César Da Silva ; le Bulletin (4 février) le publia, en ajoutant : « Quoique le programme de ce Congrès indique clairement que les socialistes du Portugal suivent une voie qui n’est pas la nôtre, le Comité fédéral jurassien a répondu à la lettre ci-dessus par un salut fraternel adressé aux ouvriers portugais réunis en congrès à Porto ».


On lit dans le Bulletin du 18 février : Une triste nouvelle nous arrive d’Espagne : Severino Albarracin vient de mourir à Barcelone (5 février), d’une phtisie galopante. Beaucoup de nos lecteurs l’ont connu sous le nom de Gabriel Albagès, qu’il a porté durant son séjour en Suisse de 1874 à 1877... Une lettre particulière nous donne sur sa fin les détails suivants : « Dans ses derniers moments, et même lorsqu’il avait déjà perdu la conscience de ce qui l’entourait, il a pensé exclusivement aux choses, faits et aspirations de notre cause ; dans son délire, il parlait surtout des affaires d’Alcoy et de son cheval blanc[1]. Nous lui avons fait un enterrement civil... Publiez cette nouvelle dans le Bulletin, car peut-être la censure ne nous permettra pas de rien dire dans les journaux espagnols. » Albarracin a été une des personnalités les plus énergiques et les plus dévouées de l’Internationale espagnole ; il est resté fidèle à ses convictions jusqu’au dernier moment ; ses amis garderont sa mémoire. »


En Italie, nous avions un correspondant — je ne sais plus si c’était Natta, ou Covelli, ou un autre — qui nous tenait au courant, et nous recevions en

  1. Le cheval blanc que montait Albarracin pendant l’insurrection d’Alcoy était devenu légendaire en Espagne, grâce aux récits de la presse réactionnaire, qui avait beaucoup insisté sur ce détail. (Note du Bulletin.)