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parmi les jeunes, la majorité est très ignorante, plusieurs ne savent pas même lire, et, parmi les plus âgés, plusieurs sont de vrais ivrognes, qui ne se sont jamais occupés de politique ou d’affaires concernant leur métier.

Nous avons toutes les peines du monde à faire entendre raison aux membres composant ces derniers convois ; j’apprends à l’instant que les patrons ont envoyé des agents en Suisse, pour engager des ouvriers à venir travailler ici, et je vous engage fortement, au nom des tailleurs de pierre d’ici, et au nom de la solidarité internationale, à faire tout votre possible pour déjouer les plans des patrons, et empêcher les ouvriers de la Suisse de venir ici.

En attendant de vos bonnes nouvelles, et dans l’espoir que ma lettre sera efficace, je vous serre la main.

Salut fraternel.

H. Jung.


La Fédération jurassienne fit naturellement son possible pour faire connaître en Suisse ce qui se passait et venir ainsi en aide aux tailleurs de pierre de Londres.

Il ne m’est pas indifférent, au moment où va s’achever l’existence militante de l’Internationale, où va disparaître le Bulletin de la Fédération jurassienne, de pouvoir mentionner ici cet acte de solidarité, de pouvoir reproduire cet appel qu’après treize années d’activité ininterrompue dans nos rangs, adressait encore aux ouvriers du Jura, au nom des ouvriers anglais, un homme qui avait longtemps, au Conseil général, servi de trait d’union entre l’Angleterre et la Suisse, qui avait présidé à Genève, en 1866, le premier Congrès général de l’Internationale, qui présida à Bruxelles et à Bâle, en 1868 et 1869, le troisième et le quatrième Congrès, et qui pour avoir, en 1872 et 1873, pris avec nous la défense du principe fédéraliste contre des visées dictatoriales et contre les brutalités de MM. Engels et Sorge, fut, comme on l’a vu, bassement insulté et calomnié par son ancien ami Karl Marx.


Le Bulletin du 30 décembre signala à ses lecteurs, en ces termes, une édifiante manifestation du Vorwärts :

« Le Vorwärts, organe central du parti socialiste d’Allemagne, est un chaud partisan de la Turquie : non pas du peuple turc, qui certainement en vaut bien un autre, mais du gouvernement turc et de sa politique. Cela parait singulier. n’est-ce pas, de la part d’un journal qui se dit socialiste ? et pourtant rien n’est malheureusement plus exact. Depuis le commencement de la guerre d’Orient, il n’y a presque pas eu de numéro du Vorwärts où ne se trouvât quelque entrefilet glorifiant la Turquie, et témoignant d’une haine ardente contre la Russie, non pas contre le gouvernement cette fois, mais contre le peuple russe.

« Imagineriez-vous ce que le Vorwärts du 16 décembre sert en feuilleton à ses lecteurs ? Une ode à la louange d’Osman-Pacha[1] ! Et ce morceau de poésie, qu’il déclare magnifique (ausgezeichnetes Gedicht), il l’emprunte aux colonnes d’une malpropre feuille charivarique bourgeoise, le Kladderadatsch de Berlin.

« ... Qu’un journal socialiste publie, à la louange d’un pacha turc, un dithyrambe en style mystique où on parle de la colère d’Allah et de l’étendard du Prophète, cela nous semble bien déplacé, pour ne pas dire plus. Nous savons du reste qu’en Allemagne beaucoup de socialistes pensent comme nous à l’égard de cette singulière attitude turcophile du Vorwärts. »


Pour prendre congé de Marx et de son fidèle Sorge, je cite, en terminant ce chapitre, quelques passages de la dernière lettre, se rapportant à la période dont il est ici question, écrite à celui-ci par celui-là : elle est du 19 octobre 1877, et Marx y parle en ces termes des affaires d’Allemagne :

  1. Le général qui commandait l’armée turque à Plevna et à Chipka.