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Que prouve cela ? Cela prouve que nous ne sommes pas absolutistes, et que nous ne voulons pas soutenir mordicus une chose dont nous ne sommes pas sûrs à l’avance.

Pour achever de vous convaincre sur ce fait, je tiens à déclarer que l’article Socialisme et Bourgeoisisme, que vous avez reproduit, est de moi. Vous me demanderez peut-être pourquoi cet article n’a pas été signé, et je vous répondrai que cet article avait paru déjà sans signature dans la Persevérance, il y a une couple d’années. D’ailleurs ceci importe fort peu à ce débat.

Mais ce qui surtout nous pousse dans la voie parlementaire et réformiste, c’est la situation du peuple qui nous entoure. Vivant au jour le jour, n’ayant aucune aspiration, réduit à l’état de brute par la vie qui lui est faite, comment voulez-vous faire de ce peuple un élément révolutionnaire ?

Nous ne partageons pas l’idée de ceux qui disent que plus le peuple sera misérable, plus il sera révolutionnaire[1]. Nous croyons, au contraire, que l’homme qui possède déjà un certain bien-être sera plus prêt à vouloir augmenter son bien-être, que celui dont la situation est misérable, et qui par cela même perd sa dignité et ne demande rien. Le peuple est un grand enfant qui ne connaît pas sa puissance, qui ne sait pas qu’il a des droits à exercer. Lui apprendre qu’il a des droits, qu’il est une puissance féconde, qu’il peut acquérir du bien-être, voilà ce que nous cherchons à faire.

Je pourrais m’étendre longuement sur ce point, mais je ne veux pas abuser de l’hospitalité de vos colonnes.

Permettez-moi seulement, avant de finir, de relever une erreur d’appréciation que vous avez faite à propos des désordres qui ont eu lieu à Gand, lors de la visite du roi Léopold dans cette ville[2]. Après avoir raconté à vos lecteurs les détails de ces désordres, vous dites : « Voilà donc le peuple gantois qui lui aussi, au lieu de rester sur le terrain de la légalité, se laisse aller à des manifestations séditieuses, à des Putsch ! Cette petite affaire, de peu d’importance en elle-même, n’indique-t-elle pas que les orateurs belges qui, au Congrès de Gand, prétendaient représenter le sentiment populaire en se faisant les apôtres de la politique parlementaire, ne représentaient en réalité que leurs idées personnelles et nullement celles de la masse des ouvriers ? »

Eh bien, ce sont précisément les délégués gantois au Congrès de Gand, qui, aidés de quelques amis, ont assailli la police et lui ont enlevé son prisonnier[3] ! Ce qui montre, encore une fois, que malgré le caractère légal de la propagande des « socialistes parlementaires et réformistes », ceux-ci

  1. Il n’est pas besoin de faire remarquer que jamais les socialistes de la Fédération jurassienne n’ont dit une chose semblable.
  2. Voir p. 283.
  3. À merveille ! Nos sincères félicitations aux citoyens Anseele, Van Beveren et à leurs collègues. Mais pourquoi certains journaux, qui ont prétendu que les socialistes jurassiens, en résistant à la police de Berne le 18 mars, avaient compromis la dignité de la cause, n’en ont-ils pas dit autant du petit Putsch des socialistes de Gand ? Deux poids et deux mesures :

    Selon que vous serez ou non de la chapelle,
    La presse du parti vous fera blanc ou noir.
    ...............................(Note de la rédaction du Bulletin.)