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fournit l’occasion d’une foule d’observations intéressantes. Nous habitons, trois voleurs (dont un pauvre enfant de douze ans) et moi, une cellule de cinq mètres sur quatre : ce n’est pas large. Je vais vous faire, aussi poliment que possible, les honneurs de notre logement. Si vous venez nous rendre visite, vous apercevrez en entrant la paroi la moins intéressante de notre réduit : une muraille nue, une planche, et sur cette planche deux pots de terre pleins d’eau (nous buvons deux dans le même), et c’est tout. À droite se trouve la croisée (avec sept barreaux de fer entrelacés et une hotte extérieure), et devant elle une table et quatre bancs... À gauche, vous trouvez la troisième paroi : contre elle, nous entassons chaque matin, comme le règlement l’exige, nos lits, ce qui lui donne un peu l’aspect d’une étagère de navire. En sortant, vous jouirez de la vue de la quatrième muraille, de beaucoup la plus intéressante, — c’est par là qu’on sort ! Un y voit une porte de chêne solidement construite, verrouillée, cadenassée... ; à côté, à ras du sol, une porte quatre fois plus petite, en tout semblable, mais s’ouvrant en dedans. N’ouvrez pas ! C’est la loge à Barri. Barri a deux anses, il est énorme, et sert... Bouchez-vous le nez, et passons. Chaque matin à six heures on se lève et on va se promener dans une cour étroite une dizaine de minutes. Chacun à tour de rôle prend sous les bras le Barri collectif, et le vide dans un immense entonnoir où l’on voit des réalités que seule la plume de Zola pourrait dépeindre. Si c’est cela qu’on appelle prendre l’air, j’aime mieux rentrer dans ma cage... Ceux qui nous gardent sont d’excellentes gens qui font tout ce qu’ils peuvent pour nous rendre moins pénible la privation de la liberté. Malgré cela, je me surprends parfois à répéter les vers de Musset :

On dit : Triste comme la porte
……….D’une prison ;
Et je crois, le diable m’emporte,
……….Qu’on a raison. »

Brousse, à sa sortie de prison, devait quitter Berne, étant banni pour trois ans du territoire du canton : il alla passer quelques semaines, avec Mlle Landsberg, chez Pindy à la Chaux-de-Fonds. Werner ayant dit adieu à l’inhospitalière Helvétie sans esprit de retour, il était devenu impossible de continuer à faire paraître l’Arbeiter-Zeitung ; elle suspendit sa publication en octobre, ce qui remplit de joie les « socialistes » Greulich et Moor. Toutefois, la sentence de bannissement portée contre Brousse ne fut pas mise à exécution ; le professeur Schwarzenbach obtint du gouvernement bernois qu’on n’inquiéterait pas son assistant de laboratoire, en sorte que le jeune chimiste[1] put rentrer à Berne, où le Bulletin le montre faisant le 24 décembre une conférence sur les programmes et les moyens d’action des partis socialistes.


Le vote du peuple suisse pour l’acceptation ou le rejet du projet de loi relatif au travail dans les fabriques avait été fixé au dimanche 21 octobre. Le Bulletin publia sur cette question l’article qui suit (écrit avant mon voyage à Courtelary) :


Dans beaucoup de cantons, le parti radical, auteur de ce projet, organise des réunions publiques où des orateurs bourgeois vanteront aux ouvriers les bienfaits de la loi nouvelle et feront le panégyrique du régime politique qui l’a enfantée. L’Arbeiterbund, qui voit dans cette loi un « progrès », engage tous ses adhérents à aller, le 21 octobre, déposer dans l’urne un oui énergique. Pour nous, qui ne croyons pas qu’une amélioration sérieuse puisse être apportée au sort des travailleurs autrement que par la suppression préalable de la bourgeoisie comme classe, et aux yeux de qui

  1. Brousse se préoccupait à ce moment de la vulgarisation en France de la nouvelle notation atomique ; il m’avait parlé d’un projet de publication sur ce sujet, qu’il aurait voulu entreprendre avec mon concours.