Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/663

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

visites, etc. Je sortirai d’aujourd’hui en quinze. » L’opinion de la bourgeoisie du canton de Vaud était qu’un emprisonnement, surtout pour un motif politique, constituait une flétrissure pour l’honneur d’une famille ; je fus bien aise de constater qu’on ne pensait pas de même dans les montagnes neuchâteloises ; j’écrivis à ma femme, le 4 novembre : « Mon oncle Charles[1] m’a écrit de Fleurier il y a quelque temps une lettre de théologie, très intéressante, où il dit des choses beaucoup plus sensées que celles que je lis dans les livres et les journaux de la bourgeoisie libérale ; hier j’ai reçu aussi une lettre de mon oncle Édouard, qui m’a fait plaisir, et où il dit carrément que « les Bernois, leur police et leur tribunal se sont conduits indignement », et que je pourrai « sortir de prison la tête haute avec le sentiment de l’innocent, victime de l’injustice ». David [Perret] m’a écrit des farces ; je lui répondrai ce soir. Je voudrais bien que tu pusses venir ici avec la petite ; malheureusement l’état de nos finances ne le permet guère. J’aurais du plaisir à te faire voir mon installation, et tu pourrais juger par tes propres yeux que je ne suis pas trop mal. » L’état de santé de ma femme continua à s’améliorer, et lorsque je revins de Courtelary le mercredi 14 novembre, je la trouvai assez forte pour que nous pussions nous réinstaller dès le lendemain dans notre appartement, sur le quai de l’Évole, au bord du lac[2].

J’ai voulu montrer, en racontant ces détails, comment une bagatelle aussi insignifiante que la condamnation prononcée par les juges de Berne, un séjour en prison qui, pour nous, hommes, était, en réalité, une villégiature et une partie de plaisir, pouvait avoir son côté pénible et attristant lorsque la santé d’une femme aimée était en jeu.

Et maintenant, je vais extraire du Bulletin quelques indications sur nos sections jurassiennes pendant cet automne.

La fédération ouvrière du district de Courtelary prit l’initiative d’une souscription en faveur des condamnés du procès de Berne. La première liste, publiée dans le Bulletin du 30 septembre, porte 100 fr. versés par la section des graveurs et guillocheurs du district de Courtelary, 100 fr. versés par Gertrude von Schack, et 54 fr. versés par divers autres souscripteurs.

On lit dans le Bulletin du 7 octobre :

« Lundi 24 septembre, une conférence a été faite à Neuchâtel par Adhémar Schwitzguébel sur ce sujet : Le procès de Berne ; après quoi James Guillaume a parlé des Congrès de Verviers et de Gand. Le public était assez nombreux et exclusivement ouvrier ; il s’est montré très sympathique aux idées émises, et plusieurs nouveaux membres se sont fait inscrire dans la section de l’Internationale...

« Deux conférences ont été faites par Paul Brousse avant son entrée en prison, le samedi 27 septembre à Saint-Imier, et le dimanche 30 à Sonvillier. Ces deux soirées ont très bien réussi. À Sonvillier, on avait organisé une tombola, et un certain nombre d’ouvriers de Saint-Imier étaient venus à la réunion ; la nouvelle Section italienne n’avait pas fait défaut : à huit heures du soir elle faisait son entrée à Sonvillier en chantant I Romagnoli. Il y a en ce moment, au Val de Saint-Imier, beaucoup de vie et d’animation parmi les ouvriers : les derniers événements locaux ont donné une énergique impulsion à la propagande socialiste, et dans tout le Jura, dans la population bourgeoise même, les sympathies sont pour l’ Internationale contre le gouvernement de Berne[3]...

« La section de Fribourg annonce qu’elle se propose de donner le 14 courant une soirée familière suivie d’une tombola en faveur des familles des condamnés du procès de Berne...

« À la prison de Courtelary, il ne s’est pas trouvé assez de cellules disponibles pour que les condamnés habitant le Val de Saint-Imier pussent se constituer

  1. J’ai parlé de cet oncle au t. Ier p. 148, note 2.
  2. J’avais quitté, en juin 1877, la maison de la rue du Musée où j’avais été, pendant deux ans, le voisin de Charles Beslay.
  3. On en a vu une preuve dans les lettres que m’écrivirent de Fleurier mes deux oncles.