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ne sont point des prévenus correctionnels ordinaires, mais sont les représentants d’un grand parti qui, en Suisse aussi, est devenu assez fort pour mériter d’attirer sur lui la rigueur des gouvernements. On ne pourra plus affirmer, connue on le faisait autrefois, que l’Internationale en Suisse ne se recrute que parmi les étrangers, car, sur les trente prévenus qui ont été pris au hasard parmi les participants à la manifestation du 18 mars, il se trouve vingt-quatre citoyens suisses. Dans tous les pays, tous les partis ont passé à leur tour sur les bancs de la police correctionnelle, et ne s’en sont pas plus mal portés ; et si vous nous condamnez, si votre conscience vous permet d’affirmer que la police et le gouvernement ont eu raison contre nous, vous pouvez être certains que votre sentence n’aura fait que servir notre propagande.


Je termine ces extraits en reproduisant les paroles prononcées par quatre prévenus qui parlèrent après moi :


Deiber (tailleur, vingt-trois ans. Alsacien, résidant à Berne). Je me rallie à ce qui a été dit par mes camarades, et j’ajouterai seulement ceci : Cette fois, je n’avais qu’un casse-tête ; j’ai fait tout ce que j’ai pu et j’aurais voulu pouvoir faire davantage ; mais maintenant que je sais à quels brigands j’ai affaire, je prendrai la prochaine fois d’autres précautions.

Le président. À qui le prévenu applique-t-il l’épithète de brigands ?

Deiber. À ceux qui nous ont lâchement attaqués le 18 mars.

Gaspard Honegger (tailleur, vingt-deux ans, citoyen suisse, résidant à Berne). Au 18 mars dernier, je n’étais pas encore membre de l’Internationale, mais je m’étais joint au cortège, parce que c’est un acte parfaitement légal de porter le drapeau rouge aussi bien que tout autre drapeau. Mais comme j’ai fait à cette occasion l’expérience de quelle sorte de liberté nous jouissons en Suisse, je suis entré ensuite dans l’Internationale. Je n’avais pas d’armes, je n’ai pu prendre aucune part active à la lutte : néanmoins le ministère public réclame contre moi trente jours de prison ; je les ferai avec plaisir, s’il le faut, comme témoignage de solidarité envers mes compagnons. J’ajoute que l’attitude calme et sympathique que garde le public présent dans cette salle prouve que ceux qui ont représenté la population de Berne comme si hostile à notre égard n’ont pas dit la vérité.

F. Chautems (graveur, vingt-huit ans, citoyen suisse, résidant à Bienne). Une des choses les plus divertissantes dans ce procès, c’est le taux auquel le gendarme Lengacher évalue son égratignure : 1535 francs, rien que ça ! Il est évident qu’il y a là une ingénieuse spéculation ; ce gendarme a dû se dire : Si on m’accorde cette indemnité, je n’ai qu’à attaquer encore trois ou quatre fois le drapeau rouge, et j’aurai alors gagné assez d’argent pour pouvoir me retirer du corps et monter un commerce d’épicerie. (Hilarité générale.)

A. Buache (télégraphiste, dix-neuf ans, citoyen suisse, résidant à Lausanne). Après ce qu’ont dit avant moi mes camarades, je ne saurais qu’ajouter pour ma défense personnelle, car je n’ai pas à me justifier de la part que j’ai prise à la manifestation du 18 mars. Et d’ailleurs, devant qui me justifierais-je ? Devant vous, messieurs ? Non, car vous êtes les représentants de la force légalisée par l’abrutissement du peuple. C’est donc au