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une longue série d’années en punition de délits forestiers, et le peu d’argent que nous avons trouvé dans la caisse du receveur d’une de ces communes. Nous avons brisé le compteur mécanique de l’impôt sur la mouture ; après quoi nous avons expliqué au peuple, qui s’était réuni enthousiasmé sur la place, nos principes, qui furent accueillis avec la plus grande sympathie. Nous n’avons pu faire davantage, faute de temps et faute des forces nécessaires : Nicotera avait lancé contre nous tout un corps d’armée, qui a fait tous ses efforts pour nous enfermer dans un cercle de fer. Nous avions foi dans les instincts populaires et dans le développement de la révolution ; et nos espérances n’eussent pas été déçues, si nous avions réussi à tenir la campagne pendant quelques mois.

« Le peuple des campagnes nous a témoigné une vive sympathie, malgré que nos paysans aient été rendus défiants par les mille tromperies dont ils ont été victimes de tout temps. Déjà la fermentation commençait à se manifester : une commune d’une certaine importance avait été envahie par les paysans aux cris de : « Nous voulons du pain et de l’argent », et on leur en a donné ; dans d’autres communes on criait : « Le temps des signori est fini, celui des pauvres commence ». De l’aveu des journaux du gouvernement eux-mêmes, dans les deux provinces qui ont été le champ d’action de notre bande, il est resté des traces profondes de commotion sociale. Le peuple de Letino et de Gallo (les deux communes que nous avons occupées), invité par nous à mettre en commun les propriétés, l’aurait fait de grand cœur : « Mais », nous a-t-on répondu, « la commune n’est pas en état de se défendre, la révolution ne s’est pas encore propagée sur une assez grande échelle ; demain la troupe viendrait nous massacrer, » etc. Et nous ne pouvions pas leur donner tort.

« Plusieurs fois nous nous sommes trouvés à la portée des soldats ; mais ils n’ont jamais osé nous attaquer sur les montagnes.

« Finalement, comme je le disais en commençant, l’eau et la neige nous ont perdus. Nous étions cernés de toutes parts ; une seule voie de retraite sûre nous restait : c’était par une montagne très élevée et couverte de neige ; après l’avoir franchie, nous nous serions trouvés dans une autre province[1], où le gouvernement ne s’attendait probablement pas du tout à nous voir paraître. Nous cheminions sous la pluie depuis le matin ; vers le soir, nous arrivâmes au pied de cette montagne et il pleuvait toujours ; nous montons pendant une heure, avec de la neige jusqu’aux genoux, et il pleuvait toujours ; notre guide ne connaissait pas bien la montagne ; les moins robustes d’entre nous commençaient à rester en arrière ; puis il y en eut qui déclarèrent qu’il leur était impossible de faire un pas de plus[2]. Là-dessus, la neige se met à tomber ; nous sommes forcés de revenir sur nos pas et d’entrer dans une bergerie (masseria) pour nous refaire un peu. Nous étions tout ruisselants d’eau ; et ce qu’il y a de pis, nos fusils et nos munitions ruisselaient d’eau également. Que nous ayons été trahis ou non,

  1. La province de Campobasso, l’aucien Samnium.
  2. Le jeune comte Francesco Ginnasi, d’Imola, un étudiant de dix-huit ans, d’une santé délicate, à bout de forces, et qu’on fut obligé un moment de porter, suppliait ses camarades de le tuer pour se débarrasser d’un fardeau qui gênait leur marche.