Page:James Guillaume - L'Internationale, III et IV.djvu/586

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.



Le premier numéro de l’Avant-Garde venait de paraître[1]. Brousse rendit rendit en ces termes à Kropotkine, le 8 juin, des impressions qui lui avaient été communiquées : « De ce numéro, Guillaume très content ; Costa trouve pas assez vif ; Montels, Dumartheray très contents ; Lenz comme ci comme ça, il me semble. Des autres, pas de nouvelles encore. »

Le Mirabeau, qui subissait alternativement l’influence de nos amis et celle de nos adversaires, avait accueilli et publié, vers le milieu de mai, une correspondance de Malon, dictée par la haine, calomnieuse et injurieuse pour nos amis italiens emprisonnés. Costa, indigné, rédigea une réponse, et Brousse s’adressa à Kropotkine pour l’inviter à obtenir du Mirabeau qu’il l’insérât : « Costa vous supplie, lui écrivit-il (22 mai), de faire tous vos efforts pour que la correspondance ci-jointe paraisse au Mirabeau. Si elle n’y paraît pas, nous la ferons insérer dans le Bulletin. » Kropotkine écrivit à Fluse, et le Mirabeau s’exécuta. Là-dessus, grande colère de Malon, qui envoya une nouvelle correspondance au journal de Verviers. Costa répliqua de nouveau, et ce fut lui, comme on le verra (pages 214 et 251), qui eut le dernier mot.


Le Congrès de Bruxelles eut lieu le 3 juin. Il comptait quatre-vingt-huit délégués représentant douze villes, et fut présidé par Fluse, de Verviers. Les Flamands furent battus : le Congrès refusa d’adhérer au Parti démocrate-socialiste fondé à Malines, et décida de maintenir le vote du Congrès de Gand, laissant aux associations ouvrières affiliées à l’Union ouvrière socialiste belge la latitude de prendre ou de ne pas prendre part à l’agitation politique. La Chambre du travail de Bruxelles fut chargée de préparer, en opposition au projet de statuts élaboré à Malines, un contre-projet, qui serait présenté à un nouveau Congrès à convoquer avant la fin de l’année. — Mais, comme on le verra, le Congrès projeté ne devait pas avoir lieu, les Flamands ayant décidé de maintenir leur organisation particulière.


Le pauvre Albagès (Albarracin) Espagnol de descendance mauresque, habitué à l’ardent soleil de Valencia, avait beaucoup souffert des rigueurs de l’hiver à la Chaux-de-Fonds ; et maintenant que le printemps était revenu, les travaux pour lesquels il avait été embauché étant terminés, l’entrepreneur Dargère ne pouvait plus l’occuper. Il chercha inutilement de l’ouvrage comme plâtrier-peintre dans d’autres villes, en particulier à Berne (les lettres de Brousse parlent de ses démarches). Nous convînmes alors que le mieux pour lui serait qu’il retournât en Espagne, et nous engageâmes nos amis de Barcelone à le rappeler : ils lui écrivirent, et, pour le décider, lui parlèrent d’un mouvement qui se préparait. Albagès crut découvrir une contradiction entre deux lettres qu’il avait reçues ; il me les communiqua, ainsi qu’une lettre qu’il écrivait à Barcelone et qu’il me priait de faire parvenir à destination, en y joignant un mot. Je savais — et pour cause — que la contradiction dont parlait Albagès n’existait nullement, et que ses amis espagnols tenaient très sérieusement à ce qu’il revînt. Kropotkine, averti du projet de départ d’Albagès, s’enflamma aussitôt à l’idée qu’on allait peut-être se battre là-bas, et m’annonça qu’il voulait partir aussi pour l’Espagne ; je lui écrivis la lettre suivante pour le dissuader (3 juin) :

« Mon cher ami, j’ai déjà répondu à Albagès, en lui disant que je ne découvrais pas dans les deux lettres d’Espagne les contradictions qu’il y voyait ; que, s’il veut partir, il doit partir tout de suite ; et, par conséquent, je n’ai pas expédié sa lettre à Barcelone.

«Quant à vous, je pense que, ne parlant pas l’espagnol, vous ne pourriez rendre des services que comme combattant ; or, ils n’en sont pas à avoir besoin d’un fusil de plus ; sans cela, ce ne serait pas la peine de commencer. Mon avis est donc que vous n’y alliez pas. La France est le seul pays où des éléments révolutionnaires étrangers puissent rendre réellement des services.

  1. Le journal s’imprimait, au début, à Berne, chez Lang, qui imprimait également l’Arbeiter-Zeitung. Plus tard, il s’imprima chez Courvoisier, à la Chaux-de-Fonds.