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lecteurs du journal ». Or, dit le Bulletin dans son compte-rendu du Congrès, « malgré le culte que l’un professe généralement parmi les socialistes allemands pour Engels et Marx, malgré l’esprit de discipline inculqué au parti, il se trouva que les articles en question déplurent à beaucoup, et qu’on se promit de profiter de l’occasion du Congrès pour manifester son mécontentement ». Most et Vahlteich demandèrent que le Vorwärts ne continuât pas à publier les articles d’Engels ; Vahlteich dit : « La façon en laquelle Engels endoctrine son monde est très indigeste pour la plus grande partie des lecteurs socialistes[1]. Marx et Engels ont rendu beaucoup de services au socialisme, et il faut espérer qu’ils lui en rendront encore ; mais on doit en dire autant de Dühring ; toutes les forces diverses doivent être également employées dans l’intérêt du parti. Mais quand les professeurs se querellent, le Vorwärts n’est pas l’arène où de pareils débats doivent être vidés. » Tout ce que Bebel et Liebknecht purent obtenir, c’est que la suite des articles d’Engels serait publiée en brochure. « Ce vote, dit le Bulletin, a été un échec pour la coterie marxiste. Tout en défendant les articles d’Engels en principe, Bebel et Liebknecht n’ont pu tenir tête au courant qui en exigeait la disparition des colonnes du Vorwärts, et ils ont dû céder sur ce point. » — Il y eut aussi un incident Hasselmann. Cet ancien lassallien avait été le rédacteur du Neuer Sozial-Demokrat, et maintenant il publiait à Barmen une brochure périodique intitulée le Drapeau rouge, qui servait de supplément à la Bergische Volksstimme (l’un des organes du parti, rédigé par Hasselmann), au succès de laquelle ce supplément contribuait beaucoup. Certaines personnes reprochaient au Drapeau rouge de « flatter les mains calleuses » et de les « exciter contre les intellectuels ». Hasselmann plaida sa cause avec beaucoup de fermeté ; mais il ne put empêcher le Congrès d’adopter une résolution présentée par Bebel, et ainsi conçue : « Dès que la Bergische Volksstimme sera en état de faire ses frais toute seule, M. Hasselmann sera tenu de renoncer à la publication du Drapeau rouge ».

Le Congrès décida d’envoyer un délégué au Congrès universel des socialistes qui devait se tenir en Belgique, en remettant le choix de ce délégué au Comité central électoral. Liebknecht, à ce sujet, prit la parole en ces termes :


« Je prie le Comité central d’agir avec beaucoup de circonspection dans le choix d’un délégué : car je crains que le parti bakouniste et anarchiste, qui en ce moment se manifeste de nouveau avec force, ne domine dans le Congrès en question. Dans ce cas, le Congrès ne pourrait que nuire au mouvement ouvrier général. »


En rapportant ces mots, le Bulletin les fit suivre de ce commentaire :


Personne n’a répondu à Liebknecht, en sorte que ces paroles doivent être regardées comme l’expression des sentiments du Congrès de Gotha.

Cela ne ressemble guère à ce que nous écrivait ce même Liebknecht, il n’y a pas encore un an, au nom du Congrès des socialistes allemands tenu également à Gotha cette année-là. Dans cette lettre, que le Bulletin a publiée, Liebknecht disait : « Chers compagnons, le Congrès des socialistes allemands m’a chargé de vous exprimer sa joie de ce que le Congrès de la Fédération jurassienne se soit prononcé en faveur de l’union de tous les socialistes ».

Autre temps, autre tactique, autre langage.

  1. Voilà une appréciation qui diffère un peu de celle qui a officiellement cours aujourd’hui dans la Sozial-Demokratie allemande, et dont voici un échantillon (F. Mehring) : « Cet écrit d’Engels a, dans une forme d’une incomparable maîtrise, ouvert au prolétariat allemand, puis au prolétariat international, la compréhension du communisme scientifique ; toute une littérature en est sortie et procède de lui ». Hélas.