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Mac-Mahon appelant la droite au pouvoir sous les espèces du duc de Broglie, de M. de Fourtou et de M. Numa Baragnon, chargés de « faire marcher la France » ; la Chambre des députés ajournée, puis dissoute, et les Trois cent soixante-trois adressant au pays leur fameux manifeste. « La situation est très tendue, disait notre Bulletin, et on s’attend à de graves événements. » Dans le numéro suivant, une lettre datée de Paris, 22 mai, mais écrite en réalité par Brousse, apprécia ainsi l’événement :

« Le maréchal a fait connaître... qu’il revenait à ses premières amours. Il n’en a pas fallu davantage pour faire crouler tout le joli château de cartes parlementaire que ces bons députés avaient si laborieusement édifié, et nous voilà à la veille d’un coup d’État probablement orléaniste. Qu’importe, à ceux qui n’ont plus rien à perdre, la chute d’un régime plus odieusement réactionnaire que l’empire auquel il a succédé ! L’expérience aura été faite une bonne fois, et elle aura prouvé, à ceux qui tiennent encore et par-dessus tout à la forme politique de l’État, que l’étiquette importe peu à la chose, et que, en dehors des transformations économiques, il n’y a rien à attendre d’un gouvernement, de quelque nom qu’il se décore. »

Depuis quelque temps, les hommes qui avaient réorganisé des sections de l’Internationale en France, et fédéré ces sections entre elles, songeaient à donner un organe à cette Fédération. Le moment était venu où cet organe — un journal qui s’imprimerait en Suisse, et qui pénétrerait en France par des voies clandestines — allait être créé. Pendant les quelques jours de sa convalescence à Neuchâtel, Brousse s’en était entretenu avec Kropotkine et moi. Le 30 avril il écrivait à Kropotkine : « Je vous annonce que la feuille dont je vous ai parlé pour la France commencera à paraître décidément le 13 mai. D’après vos conseils, j’ai proposé aux membres de la Commission fédérale [française] de modifier le titre, et deux d’entre eux se rallient déjà au titre plus simple : Bulletin de la Fédération française. Que Pindy, à qui vous pouvez en parler, soit de cet avis, et le changement de titre est chose faite. De plus, on est convenu de vous charger de la rédaction de l’article « bulletin international ». Ce bulletin, qui sera le premier article du journal, doit décrire chaque quinzaine, en deux colonnes au plus, le mouvement ouvrier universel. Votre connaissance de toutes les langues vous rend très propre à cette besogne. »

Au moment où Brousse écrivait ces lignes, le groupe qui fondait la revue mensuelle dont il a été parlé p. 180 venait de lancer le programme de cette publication ; la revue devait s’appeler le Travailleur, et s’imprimer chez les Russes du Rabotnik sous la direction d’un comité de rédaction composé d’Élisée Reclus, d’Œlsnitz, Ch. Perron et Joukovsky ; le premier numéro devait paraître le 20 mai. Brousse écrivait à ce propos à Kropotkine, dans cette même lettre du 30 avril : « Vous devez certainement avoir reçu le programme de la revue. Je tiens donc à vous faire remarquer surtout un passage qui mérite d’attirer notre attention. Combattre « l’État, sous toutes ses formes politiques, juridiques, religieuses, » c’est combattre de nos jours contre des moulins à vent. La forme étatiste qui est aujourd’hui en question, c’est la forme de l’État-services publics, de l’État administration centralisée, que De Paepe préconise. Cette forme de l’Etat a été défendue à Lausanne, le 19 mars 1870, par Lefrançais et Joukovsky, et combattue par Reclus et moi. Et de cette forme, pas un mot ! pas le plus petit « etc. » qui nous laisse de l’espoir ! Enfin ne cherchons pas les puces ; elles se montreront bien toutes seules, et assez tôt. Appliquons-nous à la feuille française qui va paraître, et tâchons de viser les deux catégories de nos lecteurs : l’étudiant parisien, qui veut de la théorie, et l’ouvrier du Midi, qui erre entre les syndicats, Gambetta, et l’Internationale. »

Dans les premiers jours de mai, Brousse écrit à Kropotkine : « Mon cher. Les hommes de la revue se montent le coup, ou, en français poli, se trompent : ma conférence à Genève était fixée au 12 mai bien avant qu’ils pensassent à leur tombola ; mais elle a été depuis longtemps renvoyée au 26[1]. Vous pouvez donc

  1. De cette conférence, organisée par la Section française de propagande, il a déjà été question ci-dessus, p. 200.