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projet de programme pour cette organisation nouvelle fut remis aux sections de l’Arbeiterbund à Berne. Il fut en outre voté une décision portant que, désormais, un ouvrier qui appartiendrait à une organisation dont le programme ou la tactique sont en contradiction avec ceux de l’Arbeiterbund ne pourrait pas faire partie de cette dernière association : cette décision était dirigée spécialement contre l’Internationale, car jusqu’alors un certain nombre de membres de l’Arbeiterbund étaient en même temps membres de la Fédération jurassienne ; ces membres se trouvèrent ainsi mis en demeure d’avoir à opter entre l’une ou l’autre des deux organisations. Enfin le Congrès décida, malgré une vive opposition, d’envoyer, au nom de l’Arbeiterbund, un délégué au Congrès universel des socialistes qui devait se tenir en Belgique, et nomma ce délégué en la personne de Greulich.

Pendant la durée du Congrès, des réunions publiques eurent lieu chaque soir, au local du Grütli. Dans ces réunions, Kachelhofer et moi prîmes plusieurs fois la parole. Je racontai aux délégués de l’Arbeiterbund comme quoi une partie de leurs coreligionnaires, les Grutléens de Neuchâtel, avaient voté pour les conservateurs aux dernières élections : là-dessus Greulich, ne pouvant démentir le fait (une partie des Grutléens présents venaient de s’en glorifier eux-mêmes), déclara que l’alliance avec un parti bourgeois est légitime lorsqu’on n’a pas l’espoir de triompher tout seul, et que les Grutléens de Neuchâtel avaient été parfaitement libres de choisir celui des partis qui leur inspirait le plus de sympathie. Puis, pour faire diversion, Greulich s’avisa de reprocher aux Jurassiens d’être des adversaires de la loi sur les fabriques. Kachelhofer répondit que, bien que membre de la Fédération jurassienne, il était, pour son compte, partisan de cette loi, et qu’il connaissait bon nombre de Jurassiens pensant comme lui. Je dis que, pour moi, j’étais adversaire de la loi ; « mais, ajoutai-je, quoique je ne partage pas sur ce point l’opinion de Kachelhofer, cela ne nous empêche pas d’appartenir tous les deux à la même organisation, parce que nous sommes d’accord sur le but, et que, lorsqu’il y a dissidence sur le choix des moyens, nous pensons qu’il vaut mieux s’éclairer par une discussion amicale que de s’excommunier réciproquement ». Plusieurs délégués firent observer que le langage tenu par les Jurassiens les surprenait beaucoup, et qu’ils s’étaient fait d’eux une tout autre idée : à quoi je répondis que, les délégués de l’Arbeiterbund n’ayant connu jusqu’alors les Jurassiens que par les caricatures qu’en avait faites la Tagwacht, il était naturel qu’ils éprouvassent un certain étonnement en s’apercevant que les Jurassiens réels étaient bien différents de ce que prétendaient leurs adversaires.

Le résultat du Congrès de l’Arbeiterbund, au point de vue de la propagande que cette organisation avait espéré faire à son profil, fut tout à fait négatif, et le Bulletin le constata en ces termes :


Depuis des années, l’Arbeiterbund s’efforce d’attirer à lui les ouvriers de langue française ; il a créé à Genève, dans ce but, un petit journal que personne ne lit, le Précurseur (rédigé en français par un Allemand, J.-Ph. Becker) ; et, parmi les motifs qui avaient fait choisir Neuchâtel pour siège du Congrès de cette année, on avait fait valoir tout spécialement celui-ci, que les ouvriers de langue française feraient ainsi connaissance avec l’Arbeiterbund, et que ce serait un puissant moyen de les attirer dans les rangs de cette association.

Eh bien, qu’est-il arrivé ? Le Congrès de Neuchâtel a-t-il réalisé, sur ce point, les espérances qu’on avait manifestées ? Tout au contraire ; et nous avons entendu, de la bouche de nombreux délégués, l’aveu qu’il n’y avait décidément rien à faire pour eux avec l’élément ouvrier de langue française, et que celui-ci, lorsqu’il n’est pas réactionnaire, n’est pas accessible à une autre propagande que celle de l’Internationale.


Tout le monde sait ce que fut le Seize Mai : le coup d’État parlementaire de